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Corruption :  une menace pour la sécurité nationale

Par Abderrahmane Mebtoul

Professeur des universités, expert international, haut magistrat, premier conseiller et directeur général à la Cour des comptes 1980/1983.

Une rencontre a été organisée le 15 juillet en cours à Alger pour le lancement officiel de la Stratégie nationale de transparence, de prévention et de lutte contre la corruption (2023-2027).

La lutte contre la corruption nécessite une nouvelle approche et pour éviter les erreurs du passé, il est nécessaire de s’appuyer sur des structures indépendantes. Les organes dépendant de l’Exécutif, soit du ministère de la Justice ou du ministère des Finances, ne sont pas neutres et l’expérience récente de hauts responsables dont des ex-premiers ministres et des ministres qui ont été poursuivis pour corruption en est la preuve. L’important est de s’attaquer à l’essence de ce cancer qui ronge la société. Mais, il ne faut pas confondre la corruption, avec acte de gestion. La dépénalisation de l’acte de gestion que je réclame depuis de longues années, permettra d’éviter de freiner les énergies créatrices. Car le manager, par définition, doit prendre des risques. Il peut donc gagner ou perdre. Le combat contre la corruption doit reposer sur la mise en place de mécanismes de régulation transparents pour garantir son efficacité.

La gestion des ressources publiques représente une réelle problématique en Algérie. En sus de la mauvaise gestion de certaines entreprises qui accaparent une partie importante du financement public, il ne faut jamais oublier l’administration et les services collectifs dont les infrastructures accaparent souvent une grande fraction du budget de l’Etat. S’est-on interrogé une seule fois par des calculs précis sur le prix de revient des projets menés par différents ministères, par des wilayas , des ambassades (qui doivent favoriser la mise en œuvre d’affaires profitables aux pays ), du coût des différents séminaires, et réceptions et commissions par rapport aux services rendus à la population algérienne ? Il convient aussi de se poser la question de l’efficacité des transferts sociaux souvent mal gérés et mal ciblés qui ne s’adressent pas toujours aux plus démunis. Il semble bien qu’à travers toutes les lois de finances, l’on ne cerne pas clairement les liens entre les perspectives futures de l’économie algérienne et les mécanismes de redistribution devant assurer la cohésion sociale, ce qui donne l’impression d’une redistribution passive de la rente des hydrocarbures sans vision stratégique, bien qu’existe certaines dispositions encourageant l’entreprise. Dans ce cadre, celui de la faiblesse de la vision stratégique globale, le système algérien tant salarial que celui de la protection sociale est diffus et dans la situation actuelle, plus personne ne sait qui paye et qui reçoit. Car, ni le circuit des redistributions entre classes d’âge, entre générations et encore moins bien les redistributions entre niveaux de revenus ou de patrimoine ne sont clairement définis. Aussi, la mauvaise gestion et la corruption expliquent que le niveau des dépenses est en contradiction avec les impacts économiques. Le contrôle le plus efficace de la gestion des ressources publiques passe par une plus grande démocratisation et nécessairement par une lutte contre la bureaucratisation. Il y aussi des questions qu’il est nécessaire de se poser : combien d’entreprises publiques possèdent-elles la comptabilité analytique, les banques de données, des comptabilités répondant aux normes internationales, afin de pouvoir déterminer leur efficience loin de l’ancienne culture mue par l’unique dépense monétaire ? Combien d’entreprises établissent un budget prévisionnel cohérent- du personnel, des achats, des ventes déterminant les écarts hebdomadaires, mensuels entre les objectifs et les réalisations, ces opérations budgétisées étant la base du plan de financement, sans compter la faiblesse des différents travaux comptables de base ? Par ailleurs, l’absence d’observatoire de l’évolution des cours boursiers, permet des prix à l’achat exorbitants en devises pour ne pas parler de surfacturations, gonflant la rubrique achat de matières premières du compte d’exploitation où bon nombre de produits comme le blé, le rond à béton, etc. sont cotés journellement à la Bourse. La compréhension des mécanismes boursiers ainsi que de l’évolution des du taux de chance du dollar et de l’euro représentant plus de 80% des transactions internationales en 2022 a des incidences sur le pouvoir d’achat et pour le niveau des réserves de change libellées en ces monnaies et en or.

Vision stratégique

L’efficacité du contrôle doit aussi s’insérer dans le cadre d’une vision stratégique. Les mécanismes de contrôle en économie de marché doivent définir la nature du rôle de l’Etat pour favoriser le contrôle, ainsi qu’ une coordination sans faille des institutions de contrôle., Or, la dilution des responsabilités à travers la mise en place de différentes commissions témoignent de l’impasse du contrôle institutionnel en dehors d’un cadre cohérent, où les règlements de comptes peuvent prendre le dessus. Qui est propriétaire, car pour pouvoir sanctionner une entité, il faut qu’elle ait été responsable ?Peut-on sanctionner un directeur général qui a subi une injonction externe? Un directeur général d’entreprise publique est-il propriétaire dans le sens économique large-sans un véritable pouvoir de décision-de son entreprise? Qui est propriétaire de l’ensemble de ces unités économiques et de certains segments des services collectifs se livrant à des opérations marchandes? C’est toute la problématique du passage de l’Etat propriétaire gestionnaire à l’Etat régulateur ou stratège que n’ont résolu jusqu’à présent à travers les différentes restructurations et refonte de la gestion des capitaux marchands de l’État de 1965 à 2023, degrandes sociétés nationales 1965/1979- leurs restructurations de 1980/1987, les fonds de participations vers les années 1990, les holdings 1995/1999, puis entre 2000/2019 les sociétés de participation de l’Etat SGP et récemment au retour à la tutelle ministérielle. Ces évolutions s’expliquent par les interférences entre le politique et l’économique dans le cadre de la gestion des capitaux marchands de l’Etat, dont le système financier est un enjeu de pouvoir. Pour Transparency International une note inférieure à 3 signifie l’existence d’un haut niveau de corruption, entre 3 et 4 un niveau de corruption élevé et les affaires saines à même d’induire un développement durable ne peuvent avoir lieu, la corruption favorisant surtout les activités spéculatives et le manque de confiance dans les institutions témoignent d’où la nécessité d’une plus grande intégrité politique. L’ONG relève que « les pays où les réglementations sur le financement des campagnes sont complètes et systématiquement appliquées ont un score moyen de 70 sur l’IPC, alors que les pays où ces réglementations sont soit inexistantes, soit mal appliquées n’obtiennent qu’une moyenne de 34 et 35 ».

En résumé, il existe un lien crucial entre la lutte contre la corruption, la sécurité et le développement. Selon le rapport des Nations unies , le monde d’aujourd’hui est confronté à certains de ses plus grands défis depuis de nombreuses générations – des défis qui menacent la prospérité et la stabilité des populations du monde entier, le fléau de la corruption étant étroitement lié à la plupart d’entre eux, comme la difficulté de récupérer les transferts illicites de capitaux placés dans les paradis fiscaux ou investis dans des sociétés anonymes . Comme l’a mis en relief l’économiste de renommée mondiale, John Maynard Keynes, il vaut mieux que l’homme exerce son despotisme sur son compte en banque personnel que sur ses concitoyens. Comme je le rappelais dans une interview donnée au grand quotidien financier les Echos -Paris le 07 aout 2008, le terrorisme bureaucratique et la corruption sont les obstacles principaux à l’investissement porteur en Algérie. Dans les pays où règne un Etat de droit, la Cour des comptes est l’organe suprême du contrôle des deniers publics, ce qui est d’ailleurs inscrit dans la nouvelle Constitution algérienne. La lutte contre la mauvaise gestion et la corruption renvoie à la question de la bonne gouvernance et de la rationalisation de l’Etat dans ses choix en tant qu’identité de la représentation collective.

A.M.

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