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Face aux tensions géostratégiques et au terrorisme : Hommage à l’ANP garante de la sécurité nationale

Par Abderrahmane Mebtoul

Professeur des universités, expert international.

L’Algérie célèbre, chaque année le 4 août, la Journée nationale de l’Armée nationale populaire (ANP), en reconnaissance du rôle central de l’institution militaire dans la protection de la Patrie et l’accomplissement de ses missions constitutionnelles pour assurer la sécurité globale.

Dans ce contexte, il faut rendre hommage à l’ANP et toutes les forces de sécurité, dont l’objectif essentiel est la protection du territoire. C’est aussi le ciment de l’unité nationale et contribue également à apaiser les tensions régionales, le terrorisme étant une menace planétaire supposant une large coopération régionale et internationale.

Les derniers évènements au Niger semble avoir fait oublier que le principal défi du monde est le développement sur un nouveau modèle du fait du réchauffement climatique qui menace l’humanité, d’un côté pluies diluviennes et de l’autre côté sécheresse avec des incendies (voir notre intervention revue DGSN Chorfa juillet 2023). N’oublions pas non plus surtout les importants conflits dans le monde et qui durent depuis des années, voire des décennies pour certains : le conflit israélo-palestinien, les scènes dramatiques les conflits en Libye au Soudan, au Yémen au Liban avec des interférences étrangères entrainant une misère dévastatrice, le conflit en Ukraine avec ses incidences sur la crise alimentaire et dans bien d’autres contrées, sans oublier le conflit au Sahara occidental non résolu à ce jour. D’une manière générale nous vivons dans un monde déséquilibré où l’opulence côtoie la misère au niveau mondial et au sein des Nations, le fossé entre les riches et les pauvres se creusant davantage où l’écart des revenus renforce les inégalités dans l’accès à l’éducation, la santé et avec des conséquences pernicieuses du chômage. En ce mois d’août 2023 étant à l’orée d’une période d’incertitudes croissantes, aux racines ancrées dans la polarisation des sociétés, avec l’ampleur de la récession mondiale et des gouvernances mitigées, les soubresauts qui secouent le monde actuellement laissent des cicatrices profondes, spécialement parmi la jeunesse totalement désorientée surtout en Afrique. Déjà dans une contribution sous ma direction parue en décembre 2011 à l’Institut Français des Relations Internationales IFRI « l’Afrique du Nord face aux enjeux géostratégiques », j’avais soulevé certains questionnements à savoir la sécurité du Maghreb et de l’Europe. Et par la suite dans plusieurs contributions j’avais mis particulièrement en relief les facteurs déstabilisants notamment en Afrique, ainsi que le rôle stratégique de l’Algérie comme facteur de stabilisation de la région.( voir six (06) de mes interventions : la première à l’invitation des fondations –Bill Gates- Rockefeller New York USA en novembre 2012 USA/Maghreb-Afrique, la seconde à Malte à l’invitation de la commission européenne avril 2014 sur les enjeux géostratégiques en Méditerranée, la troisième en mars 2015 au sénat français à l’invitation de Jean Pierre Chevènement sur les relations Maghreb Europe, la quatrième de l’association internationale africaine ARGA en mai 2015 sur les enjeux du développement de l’Afrique , la cinquième à l’invitation de l’Institut militaire de documentation et de prospective Ministère de la défense nationale – IMDEP Algérie en octobre 2019 sur les enjeux au Sahel et le trafic aux frontières et la sixième à l’invitation simultanément à l’école Supérieur de Guerre ESG/MDN et au siège de l’ambassade de l’Union européenne à Alger en 2021 où étaient présents la majorité des ambassades étrangers accrédités à Alger sur les enjeux énergétiques mondiaux ). Au cours de ces rencontres, il a été souligné les relations entre les deux rives du Sahara et les dynamiques de la conflictualité saharienne actuelle interpellent l’espace méditerranéen et africain , nécessitant des stratégies nouvelles en direction du Sud et sur les relations de toutes natures entre le Maghreb et l’Afrique subsaharienne.

Des menaces multiples

C’est que nous assistons à des mutations de la géopolitique saharienne après l’effondrement du régime libyen, car comment ne pas rappeler qu’aussitôt Kadhafi disparu, des centaines de milliers d’armements, dont 15 000 missiles sol-air, qui étaient dans les entrepôts de l’armée libyenne, ont équipé les groupes armés au fur et à mesure de leur avancée dont une partie a été accaparée par différents groupes qui opèrent au Sahel, puis par d’autres groupes terroristes venus d’autres régions. Cela a eu des conséquences pour la région et notamment au Mali. Les enjeux géostratégiques au niveau de cet espace renvoient à des logiques géopolitiques divergentes tenant compte de l’histoire et des anthropologies culturelles devant éviter la vision européo- centriste car le monde depuis qu’il est monde a connu différentes formes de civilisations et le dialogue des cultures est source d’enrichissement mutuel devant tenir compte de l’importance des échanges économiques (formels et informels) , des flux migratoires notamment des migrants subsahariens notamment en direction vers l’Europe. Du point de vue géographique et politique, l’Afrique du Nord, comme mis en relief dans deux ouvrages réalisés sous ma direction et celle du docteur Camille Sari, sur le Maghreb face aux enjeux géostratégiques (‘Éditions Harmattan Paris 2014/2015), était et reste toujours une sorte de barrière sur la voie des réfugiés illégaux des pays d’Afrique subsaharienne en Europe. Bien avant et surtout depuis la chute du régime de Kadhafi, le Sahel est l’un de ces espaces échappant à toute autorité centrale, où se sont installés groupes armés et contrebandiers. Cet espace est caractérisé par l’ancienneté du système caravanier transsaharien, l’unité culturelle forgée autour de l’Islam et l’existence d’un «complexe de sécurité» dans la bande sahélienne et les dangers de la pénétration de l’islamisme radical à ne pas confondre avec l’Islam religion de tolérance. Il y a lieu d’éviter des déclarations hâtives de verser dans la xénophobie qui alimente le discours des extrêmes. Ce qui se passe actuellement ne saurait en aucune manière refléter les idéaux de l’Islam fondés sur la tolérance. Et sans oublier qu’existent des influences religieuses autour de la conception de l’Islam qui influence largement les dirigeants politiques au niveau du Sahel, entre les Frères musulmans qui encouragent le maraboutisme (zaouias) dominantes d’ailleurs au Maghreb, et les djihadistes qui y voient une dérive de la religion. Il s’agit donc de lever les contraintes du fait que la corruptibilité générale des institutions, pèsent lourdement sur les systèmes chargés de l’application des lois et la justice pénale en général qui ont des difficultés à s’adapter aux nouveaux défis posés par la sophistication des réseaux du crime organisé. La collaboration inter-juridictionnelle est ralentie par l’hétérogénéité des systèmes juridiques notamment en Afrique du Nord et en Afrique noire. De plus, la porosité des frontières aussi bien que la coordination entre un grand nombre d’agences chargées de la sécurité aux frontières posent de grands problèmes. À terme, la stratégie vise à attirer graduellement les utilisateurs du système informel vers le réseau formel et ainsi isoler les éléments criminels pour mieux les cibler tout en diminuant les dommages collatéraux pour les utilisateurs légitimes. D’une manière générale, l’on devra différencier tactiques à court terme et stratégie à moyen et long terme et les défis collectifs nouveaux sont une autre source de menace : ils ont pour noms terrorisme, prolifération des armes de destruction massive, cybers attaques et maitrise des technologies, développement des drones sur le plan miliaire, crises régionales et délitement de certains Etats, les ressources hydriques, la pauvreté, les épidémies, l’environnement. Ils sont d’ordre régional et global.

Le danger d’une intervention militaire au Niger

L’instabilité du Niger qui s’étend sur 1.267.000 km2, ayant une position géographique stratégique partageant ses frontières avec sept pays à savoir l’Algérie 956 km, le Bénin 266 km, le Burkina Faso 628 km, la Libye 354 km, le Mali 821 km, le Nigeria 1497 et le Tchad 1175 soit au total 5697 km risque d’avoir une répercussion sur toute la stabilité régionale notamment sur le Nigeria qui partage la plus longue frontière confronté à la lutte contre les groupes terroristes , ayant une position stratégique au Sahel étant un carrefour d’échanges entre l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne. Face à la situation au Niger, le sommet de la Cédéao qui a gelé toute coopération économique a donné un ultimatum d’une semaine aux putschistes nigériens pour rétablir à son poste le président Mohamed Bazoum, encore que cela ne fait pas l’unanimité du fait de relations complexes tribales entre une fraction de militaires du Niger et certains pays de la Cédéao. Aussi la situation est complexe et toute intervention militaire, en plus des révoltes des populations locales qui y verraient une atteinte à la souveraineté nationale pourrait conduire à une escalade incontrôlée dans l’ensemble de la région. Dans un communiqué commun le Burkina Faso , le Mali, rejoints par la Guinée ont affirmé qu’une intervention militaire au Niger , serait considérée comme une déclaration de guerre à leurs pays.

La situation est déjà au complexe au Niger qui est l’un des pays les plus pauvres au monde. Selon la Sous-Secrétaire général adjointe de l’ONU aux affaires humanitaires, 2,9 millions de personnes ont besoin d’aide humanitaire en 2020, une augmentation de 26% par rapport à 2019, la situation sociale restant précaire avec un taux de pauvreté extrême d’environ 42 % de la populationen 2021, soit plus de 10 millions d’habitants. Entre 1991 et 2021, le stock de la dette du Niger a varié est passé 478,0 millions et 5,5 milliards d’euros et en 2021, dernière année évaluée, le montant a été de 5,46 milliards d’euros le plus élevé des 30 dernières années et rapporté au nombre d’habitants, cela correspond au Niger à un endettement de 216 euros par personne.

En réaction au coup d’État au Niger, la France principal pourvoyeur de fonds a décidé de suspendre son aide au développement et pour le chef de la diplomatie de l’Union Européenne et la Banque mondiale toutes les actions de coopération sont suspendues. Le Nigeria a en plus suspendu les exportations énergétiques, ce qui risque d’accroître les tensions sociales et un sentiment anti-occidental de la population. Paradoxe, le Niger comme bon nombre de pays d’Afrique de l’arc sahélien, est extrêmement pauvre, il est l’un des 10 pays les plus pauvres du monde même s’il est riche en ressources comme le sel, or, pétrole, gaz, fer, phosphate, cuivre, étain et uranium autant de richesses nourrissant les convoitises de puissances mondiales. Des puissances qui convoitent les richesses africaines, ce qui explique sommets réguliers, USA/Afrique, Chine/ Afrique, Europe/Afrique, Japon/Afrique Turquie/Afrique. Avec un produit intérieure brut PIB de 14,91 milliards de dollars en 2021 pour une population de 25,25 millions d’habitants et selon le rapport du PNUD de 2022, en 2021, le Niger est à la dernière place mondiale selon l’Indice de développement humain (IDH), le PIB à parité de pouvoir d’achat (PPA) par habitant étant de 761 de dollars.

L’Algérie, un pays leader dans le règlement des conflits

Face aux tensions géostratégiques, quelles positions pour l’Algérie ? L’Algérie agit à partir d’une volonté avérée de contribuer à la promotion de la sécurité et de la stabilité dans la région, ayant adopté une position de neutralité dans les conflits, privilégiant le dialogue productif. Elle s’interroge légitimement sur le rôle, la place ou l’intérêt partie prenante du Dialogue méditerranéen de l’Otan, du partenariat euro-méditerranéen, des traités stratégiques qui la lient à la Russie et à la Chine où les nouveaux défis dépassent en importance et en ampleur les défis qu’elle a eu à relever jusqu’à présent.Pour Eric Denécé, ex Directeur du Centre français de recherche sur le renseignement, est clair sur l’origine de la situation présente : «il faut dire et répéter que le facteur déclenchant de l’instabilité régionale est l’intervention occidentale en Irak et en Libye. Ce qui ne disculpe pas l’ancien régime fondé non pas sur des institutions mais sur des relations personnalisées qui explique l’effondrement actuel de l’Etat libyen et dont bon nombre d’Etat devraient tirer les leçons renvoyant à un Etat de droit et donc au processus démocratique, devant éviter de plaquer des schémas importés. L’ex directeur du FBI, James Comey a affirmé le 14 novembre 2013 devant le Congrès «qu’Al Qaida au Maghreb Islamique constituait une forte menace dans la région de l’Afrique du nord et du Sahel» et pour l’ex directeur du Centre américain du contre-terrorisme, Matthew Olsen, a indiqué devant la commission sénatoriale que l’Algérie est un acteur stratégique de la stabilisation de la région. C’est dans le cadre de cette position constante dans ses relations internationales que récemment ,( voir nos interviews à la télévision internationale Alg24 du 23/01/2023, aux quotidiens gouvernementaux El Moudjahid du 24/01/2023 et El Massa 25/01/2023), qu’elle entretient dans le cadre du respect mutuel, d’excellentes relations avec les USA et la majorité des pays, comme en témoigne la récente visite de la première ministre de l’Italie , de la Grande Bretagne en Algérie l’Air Marshal Martin Elliott Sampson, haut conseiller de la Défense pour la région MENA, du ministère de la Défense britannique, la Chine et la Russie pour ne parler que de certains acteurs. Comme l’ont souligné la première ministre de l’Italie et la Secrétaire d’État adjointe américaine en charge des organisations internationales, Michele Sison lors leurs visites à Alger, les présidents russe et chinois lors de la visite du président de la République, l’Algérie est un pays leader dans le règlement des conflits au niveau régional, par son rôle central dans la consécration de la stabilité, particulièrement dans la région du Sahel et étant un acteur déterminant de la sécurité énergétique pour l’Europe. Ce thème des dangers de l’instabilité au Sahel notamment a été développé lors d’une rencontre internationale des experts le 04 décembre 2013 à Paris, en marge du sommet des chefs d’Etat 06/07 décembre 2013 à laquelle j’ai eu l’honneur de participer. La résolution finale a mis l’accent sur l’obligation de mettre en application une stratégie interrégionale qui associe l’ensemble des pays de la zone et de l’urgence d’une coopération tant africaine que mondiale nécessitant une amélioration des bases de données afin de lutter efficacement contre le crime transfrontalier et le terrorisme. C’est dans cet objectif que se sont établis des dialogues stratégiques notamment entre les USA/Algérie et Europe/Algérie, Algérie/Russie et Algérie Chine considérant le dialogue comme « le fondement » pour lutter contre le terrorisme international et favoriser le développement sur la base d’un partenariat gagnant-gagnant. C’est dans ce contexte que l’Algérie a mis en garde, tout en respectant la légalité internationale, contre les effets négatifs d’une intervention militaire au Niger . Car l’Algérie partage des frontières avec des pays instables où sa la sécurité est posée dont la Libye 982 km, le Mali 1329, la Mauritanie, 461, le Maroc 1739, le Niger 961, la Tunisie 1010 et le Sahara occidental 39 km (dossier au niveau de l’ONU pour sa résolution), soit un total de 6511 km (source Wikipédia).

La nécessité d’un front interne solide

Consciente des enjeux tant économiques que sécuritaires, l’Algérie, facteur de la stabilité euro-méditerranéenne et africaine qui constitue son espace naturel, grâce aux efforts de l’ANP et de toutes les forces de sécurité par une politique plus clairement affichée se traduisant par des actes, peut faire aboutir le processus des réformes inséparables d’une profonde démocratisation de la société. C’est que les mutations mondiales économiques, culturelles, politiques, sociales et militaires entre 2023/2030 préfigurent un bouleversement mondial, où le monde ne sera plus jamais comme avant . La stratégie diplomatique et militaire de l’Algérie est guidée par des principes fondamentaux hérités de sa longue histoire de libération nationale : la mise en place d’un dispositif de sécurité aux frontières et la restructuration des forces armées et de sécurité ; l’amorce de processus bilatéraux de coopération avec les pays voisins ; le développement d’un processus multilatéral à travers l’initiative des pays de Champ ; la non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats. Pour l’Algérie, l’objectif stratégique est de traduire en termes concrets ses potentialités économiques, pour être en mesure de relever avec succès les défis innombrables qui nous sont lancés par le monde moderne, étant à l’aube de la quatrième révolution économique mondiale fondée sur les nouvelles technologies et les défis de la transition numérique et énergétique. L’Algérie a toujours été au carrefour des échanges en Méditerranée et en Afrique. De Saint-Augustin à l’Émir Abdelkader, les apports de l’Algérie à la spiritualité, à la tolérance et à la culture universelle ne peuvent que nous prédisposer à être attentifs aux récentes fractures contemporaines. C’est pourquoi, je tiens à considérer que la stabilité de l’Algérie et la reconquête de notre cohésion nationale passe par la construction d’un front intérieur solide et durable en faveur des réformes. Il s’agit là de l’unique voie que doivent emprunter les Algériens afin de transcender leurs différends, à vaincre la haine et les peurs qui les habitent, et à trouver les raisons de vivre harmonieusement ensemble et de construire s ensemble, le destin exceptionnel que de glorieux aînés de la génération du 1er Novembre 1954 ont voulu désespérément pour eux.

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