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Les défis de l’Algérie dans l’industrie pharmaceutique

Par Abderrahmane Mebtoul

Professeur des universités et expert international

L’industrie pharmaceutique est le secteur économique qui regroupe les activités de recherche, de fabrication et de commercialisation des médicaments pour la médecine humaine et animale. Cette présente contribution traite d’un sujet extrêmement sensible et doit beaucoup à de nombreux amis praticiens et de professeurs d’université de médecine que je tiens vivement à remercier.

Les enjeux internationaux du marché mondial du médicaments

L’épidémie de Covid-19 a mis en lumière la dépendance de l’industrie pharmaceutique de bon nombre de pays, vis à vis de ses fournisseurs chinois et indiens, qui produisent 60 à 80% des principes actifs pour des traitements aussi vitaux que les antibiotiques, les anticancéreux et les vaccins. L’industrie pharmaceutique en Inde devrait atteindre 65 milliards de dollars d’ici 2024 et 120 milliards de dollars d’ici 2030 étant évaluée en 2022 à 50 milliards de dollars. L’Inde est un exportateur majeur de produits pharmaceutiques, avec plus de 200 pays desservis, fournissant plus de 50 % des besoins de l’Afrique en génériques, environ 40 % de la demande de génériques aux États-Unis et environ 25 % de tous les médicaments au Royaume-Uni. Elle représente également environ 60 % de la demande mondiale de vaccins et est l’un des principaux fournisseurs de vaccins DTC, BCG et contre la rougeole. 70% des vaccins de l’OMS (conformément au calendrier de vaccination essentiel) proviennent d’Inde. Replacé dans le contexte mondial, les États-Unis et la Chine sont les deux plus grands marchés pharmaceutiques du monde, représentant respectivement 38,3% et 17,5% du marché mondial. Le marché nord-américain reste le plus important avec 47,2 % des ventes mondiales, loin devant le marché européen, qui réalise 24,5 % de parts de marché. La Chine totalise 9,7 % des parts de marché, tandis que les autres pays des zones Asie et Pacifique représentent 13,2 %. Le marché du médicament est dominé de très loin par les États-Unis (45 % des ventes mondiales), devant la Chine (8,3 %), le Japon (7,8 %), l’Allemagne (7,8 %) et la France (3,7 %). La région MENA avec 27 Mds de $US représente à peine 2,1% de part du marché mondial. dont les dix plus grands laboratoires sont les suivants par ordre décroissant . – Pfizer (USA) : 100,0 milliards de dollars ; Johnson & Johnson (USA) : 95,0 milliards de dollars – Roche (Suisse) : 63,3 milliards de francs suisses – Merck & Co (USA) : 59,3 milliards de dollars — AbbVie (USA) : 58,1 milliards de dollars — Novartis (Suisse) : 50,5 milliards de dollars – Bristol-Myers Squibb (USA) : 46,2 milliards de dollars – Sanofi (France) : 42,3 milliards d’euros – Astra-Zeneca (Royaume-Uni) : 44,3 milliards de dollars – GSK (UK) : 29,3 milliards de livres (pounds). Nous avons d’autres grands laboratoires pharmaceutiques globaux comme Takeda Pharmaceutical (Japon), Eli Lilly (28,5 milliards de dollars en 2022 et certains grands laboratoires pharmaceutiques chinois (ex. Sinopharm) actifs surtout dans les vaccins pourraient intégrer cette liste. Cette structuration mondiale de la production pharmaceutique, est intimement liée aux nouvelles transformations économiques et sociales. Nous avons les effets des nouvelles technologies qui influent sur les comportements les nouveaux besoins et le système de santé, les agression de la nature et les inquiétudes vis-à-vis de l’avenir, notamment de trouver un travail pour les enfants, les divorces la détérioration du pouvoir d’achat, les contritions de logements, d’hygiène, la malvie et l’éclatement de la cellule familiale, qui servait de tampon social, tout cela engendrant des angoisses avec des effets psycho sociologique et donc des traitements spécifiques nécessitant une médecine et des médicaments adaptés. Au niveau des sociétés, nous avons le développement de la consommation d’alcool avec une influence sur le développement de nombreuses pathologies, cancers, maladies cardiovasculaires et digestives, maladies du système nerveux et troubles psychiques; des effets nocifs du tabac en rappelant qu’un cancer sur trois est dû au tabagisme, le plus connu étant le cancer du poumon, dont 80 à 90 % des cas sont liés au tabagisme actif avec d’autres impacts : gorge, bouche, lèvres, pancréas, reins, vessie, utérus. Il faut également tenir compte de l’influence de la drogue, l’économie des narcotiques représenterait un marché de 400 à 500 milliards de dollars par an avec des effets sur la santé en provoquant dépression respiratoire, intoxication, contamination, surdose, vulnérabilité psychique ou physique. ect…Nous assistons à l’apparition de nouvelles maladies (le coronavirus ) et des impacts sur la santé de l’environnement dont le réchauffement climatique où la pollution de l’air ambiant étant un des facteurs pour lesquels l’impact est le plus connu : acidification de l’air, formation d’ozone troposphérique, appauvrissement de la couche d’ozone ; particules et les effets respiratoires des substances inorganiques. Selon différents rapports de l’ONU, entre 2030 et 2050, on s’attend à ce que le changement climatique entraîne près de 250.000 décès supplémentaires par an, dus à la malnutrition, au paludisme, à la diarrhée et au stress lié à la chaleur et que le coût des dommages directs pour la santé (à l’exclusion des coûts dans des secteurs déterminants pour la santé tels que l’agriculture et l’eau et l’assainissement) se situe entre 2 et 4 milliards de dollars US par an d’ici 2030, coût impossible à supporter surtout pour les plus vulnérables. Ce qui amène à poser la problématique des faux médicaments circulant au sein de la sphère informelle, une menace pour la sécurité nationale. D’après l’Institut international de recherche anti-contrefaçon de médicaments (IRACM), un investissement de 1.000 euros dans les médicaments contrefaits génère un bénéfice de 200.000 à 400.000 euros pour une prise de risques négligeable. Une étude du World Economic Forum estime que le chiffre d’affaires mondial des faux médicaments représente 10 à 15% du marché pharmaceutique, soit 100 à 150, voire 200 milliards de dollars. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) considère que 10 à 15% des médicaments qui circulent dans le monde sont des médicaments falsifiés y compris les psychotropes fabriqués dans des laboratoires clandestins, qui font d’ailleurs ravage en Algérie, qui mettent en danger la santé de ceux qui les utilisent. Ces faux médicaments selon un rapport de l’ONU publié à la fin 2021 sont estimés à 605 tonnes de produits médicaux faisant l’objet d’un trafic qui ont été saisies rien qu’en Afrique de l’Ouest et sont à l’origine d’un demi million de décès en Afrique subsaharienne. L’un des principaux obstacles réside dans le fait que, trop souvent, la contrefaçon et le piratage sont considérés comme des infractions qui ne font pas de victimes, alors qu’ils s’inscrivent dans le cadre d’une criminalité organisée transnationale, gérée par des entreprises criminelles vastes et complexes ». Selon Interpol, le trafic de médicaments est jusqu’à dix à vingt fois plus lucratif que celui d’héroïne. Selon une étude du Forum économique mondial, les médicaments contrefaits génèrent 120 à 160 milliards d’euros chaque année. Ce montant, qui a triplé en l’espace de 5 ans, représente 10 à 15 % du marché pharmaceutique mondial, où un investissement de 1000 dollars peut rapporter jusqu’à 500.000 dollars alors que pour le même investissement, le trafic d’héroïne rapporte 20.000 dollars.

La stratégie de l’Algérie pour la production de médicaments

Rappelons au préalable que l’Afrique ne produit que 3 % des médicaments qu’elle consomme. Avec une production de médicaments estimée à 2,4 Mds de dollars US, l’Algérie représente 9% de parts du marché de la zone MENA, ayant réussi à subvenir à plus de 60% de la valeur des médicaments consommés sur le marché algérien. Les efforts du secteur privé conjugués à ceux de l’entreprise publique Saidal ouvrent la voie à l’augmentation conséquente de l’offre de médicaments, à la diversification des produits mis en marché et à une pression à la baisse de leurs prix sur le marché interne. Ces efforts des entreprises sont, il faut le souligner, rendus possibles par l’administration sanitaire nationale qui va les accompagner intelligemment en aménageant graduellement le cadre technique et réglementaire : la définition de procédures claires pour l’agrément des distributeurs et des producteurs ; la mise en place d’un laboratoire national de contrôle des médicaments ; la mise en place d’un cahier des charges pour les importateurs de médicaments ; les procédures de détermination du prix des médicaments ; etc…La démonopolisation de l’activité pharmaceutique étant définitivement surmontée sur le terrain, l’autre obstacle sur le chemin était alors celui de la concurrence des laboratoires étrangers, détenteurs des technologies, des savoir-faire, des droits de licence sur les produits et qui, surtout, avaient la mainmise, établie de longue date, sur le marché interne du médicament.. Comme dans tous les pays du monde ( les USA considérés comme le chantre de l’oncle Sam libéral le font), l’Algérie se doit de protéger une industrie naissante temporairement et sa production locale à l’aide de mesures fiscales et douanières, mais loin des mesures bureaucratiques administratives, au moyen d’une régulation afin de favoriser l’équilibre offre/demande. C’est cette politique publique avisée de protection du marché interne qui, adossée d’un côté à tout un système d’incitations au développement de l’investissement et de la production pharmaceutique et, de l’autre, à un environnement économique, technique et réglementaire aligné sur les meilleurs standards internationaux, qui va impulser l’arrivée sur le marché d’une production locale de plus en plus abondante et de qualité garantie et irréprochable. La croissance de la demande interne aura ainsi été portée fondamentalement par celle de la production locale, avec une couverture des besoins nationaux en médicaments qui passe de 25% à 52% en l’espace de dix années. Dans une période qui a connu une poussée très forte des importations, ce secteur est l’un des rares au sein de l’économie nationale à avoir vu la production locale gagner des parts de marché substantielles par rapport à la vague irrésistible de l’importation. Malgré un ralentissement observable à partir de l’année 2018, et des pressions inhérentes aux perturbations économiques internes qui ont suivi la chute brutale des prix pétroliers mondiaux à partir de 2014, l’entrée en production des nombreux projets d’investissement engagés auparavant, vont conforter la résilience de l’appareil productif interne : le taux de couverture des besoins nationaux en médicaments est évalué à 66% en 2022, par le ministère en charge de l’industrie pharmaceutique. Selon le ministère du secteur, le nombre de médicaments de fabrication locale a augmenté avec 2.889 médicaments sur un total de 3.641 médicaments figurant sur la nomenclature nationale. Nous devons, toutefois, être réalistes car fabriquer les matières premières pour ses propres médicaments, c’est un métier en soi et si on fabrique 2 ou 3 matières premières, il faut le faire à grande échelle, pour le marché mondial et être compétitif par rapport aux autres joueurs américains , indiens et chinois dans monde qui s’oriente vers la biotechnologie. Pour l’Algérie, les axes stratégiques à court et moyen terme doivent être axée dans la R&D, par l’innovation pharmaceutique , les parts des princeps, génériques, le processus de fabrication/contrôle de qualité, en orientant notre production vers les bio -similaires et la création de produits issus de la culture cellulaire afin de réduire la facture d’importation car les gros montants en valeur ne sont pas les matières premières génériques. Cela explique la décision opérationnelle réaliste, conformément à ce qui se passe dans le monde pour ce segment complexe contrôlé par quelques firmes comme mis en relief précédemment, que le ministère de l’Industrie et de la Production pharmaceutique, en privilégiant le seul indicateur financier valable, la balance devises, la régulation des importations pharmaceutiques nationale afin de réduire la facture d’importation qui a été de 40% en 2022 par rapport à 2019, pour atteindre 1,2 Mds Usd alors qu’elle s’élevait à près de 2 mds USD avec le respect des normes requises dans le domaine de la production pharmaceutique restant l’unique condition d’investir dans ce domaine, a été décidé l’annulation de la condition portant fixation du taux d’intégration à 30% pour homologuer le produit pharmaceutique en Algérie. Le secteur pharmaceutique algérien couvre 70 % des besoins de la population algérienne en générique, les 30 % restants, ce sont des produits assez difficiles à développer. Étant la clé de la réussite de toute industrie, il faut investir dans la ressource humaine, dans les locaux, les centres de Recherche et Développement. En quelques décennies, l’Algérie s’est hissée parmi les principaux producteurs pharmaceutiques d’Afrique. Le nombre d’entreprises pharmaceutiques activant dans le domaine de la production s’élevait à près de 200 entreprises, dont 137 spécialisées dans la production des médicaments permettant de couvrir plus des deux tiers des besoins nationaux, étant prévu, 69 nouveaux projets d’investissements, dont 42 projets de fabrication des produits pharmaceutiques et 27 projets de production des équipements médicaux.

En conclusion,  les défis auxquels l’ industrie pharmaceutique aura à faire face au cours des années en Algérie consisteront à passer à un niveau d’organisation supérieur, non seulement pour renforcer sa place sur le marché interne, mais pour s’imposer également sur les marchés extérieurs dont l’Afrique. Une des voies, souvent évoquée, à savoir celle de la fabrication des matières premières de l’industrie pharmaceutique, dominée et solidement contrôlée par un groupe restreint de pays fortement industrialisés ainsi que certains pays émergents comme l’Inde et la Chine qui ne pourra être sérieusement envisagée qu’avec l’association avec de puissants laboratoires mondiaux. La clef de l’avenir de l’Algérie est clairement celle des capacités de l’innovation et de la recherche scientifique. Il s‘agit de mettre une politique appropriée afin d’atténuer l’exode massif de cerveaux qui constitue une hémorragie tant pour l’Afrique que l’Algérie où uniquement pour les médecins, sans compter toutes les autres spécialisées où en 2021, on estime que 16 000 médecins et spécialistes algériens exercent dans le pays européen, et pour 2022 environ 1200 médecins algériens, de différentes spécialités, s’apprêtaient à partir en France pour travailler dans ses hôpitaux après leurs réussite aux épreuves de vérification des connaissances -EVC. Il y a lieu d’établir des connexions solides entre les nombreux laboratoires de recherche en place dans toutes nos universités et les entreprises pharmaceutiques nationales, où bon nombre d’entre elles ont déjà mis en place leurs propres laboratoires de recherche-développement et ont entrepris d’en faire la base solide de leur croissance future.

A.M.

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