Sommet Forum des pays Exportateurs de Gaz (GECF) : Réchauffement climatique et le rôle du gaz dans la transition énergétique en question
Par Abderrahmane Mebtoul
Professeur des universités, expert international, ancien directeur des études au ministère de l’Énergie et à la Sonatrach, membre de la commission transition énergétique des 5+5+ Allemagne.
C’est dans un contexte des prix très volatils, de fortes tensions géostratégiques et des nouvelles mutations énergétiques dans le sillage du réchauffement climatique et de la transition énergétique, que l’Algérie s’apprête à accueillir le 7e Sommet des Chefs d’Etat et de Gouvernement du Forum des pays Exportateurs de Gaz, à Alger du 29 février au 02 mars 2024, une organisation dont les membres représentent 70% des réserves mondiales de gaz prouvées, plus de 40 % de la production commercialisée, 47% des exportations par gazoducs et plus de la moitié de la commercialisation du GNL.
Le gaz naturel est un combustible plus propre dans le sens où sa combustion produit moins de polluants atmosphériques classiques, comme le dioxyde de soufre et les particules, que la combustion du charbon ou du pétrole. Le marché du gaz, contrairement au pétrole qui est un marché mondial, est segmenté géographiquement, étant dû à la prépondérance des canalisations, où la part du gaz naturel liquéfié sur ce marché représente en 2023 environ 35%, et devrait monter à 48% en 2030 ne pouvant pas donc parler d’un marché mondial de gaz équivalent au pétrole. Avec un investissement étant hautement capitalistique, à rentabilité à moyen et long terme, c’est un marché où les prix sont très fluctuants, jouant sur la rentabilité de l’investissement, prix fonction des fondamentaux mais souvent des impacts relevant de la géostratégie où la majorité des producteurs privilégient actuellement les contrats à moyen et long termes. Le Centre international d’information sur le gaz naturel – Cedigaz évalue les réserves prouvées mondiales de gaz naturel à 205.507 milliards de m3 au 31 décembre 2022. Le demande mondiale de gaz devrait augmenter de façon constante dans les 20 prochaines années, dans un contexte de réserves abondantes et d’une utilisation accrue du gaz pour produire de l’énergie, une hausse de la demande mondiale de gaz d’au moins 2% par an, pendant plusieurs décennies, ce qui devrait porter cette demande à 4.500 milliards de mètres cubes de gaz par an d’ici 2030 contre 3861 en 2020 et 4036 en 2021 et 4050 entre 2022/2023. Selon les prospectives internationales 2040/2050, le bouquet énergétique mondial, avec un effort important pour l’efficacité énergétique (sobriété énergétique) serait composé, avec le déclin du pétrole et du charbon, à 70% de gaz naturel propre, des énergies renouvelables dont le solaire, l’hydrogène vert et bleu. Un intéressant rapport sur le scénario d’un brusque changement de climat et ses implications pour la sécurité mondiale a été publié sous la direction des professeurs Peter Schwartz et Doug Randall, rapport commandé par le ministère de la Défense des États-Unis, sous la présidence de George Walker Bush dont les scénarios ont été calqué sur l’événement qui s’est produit il y a 8200 ans et qui a duré 100 ans. Le rapport étudie en prospective, comment le scénario d’un changement climatique horizon 2040/2100 , c’est à dire demain, aussi brusque pourrait potentiellement déstabiliser la situation géopolitique, entraînant des incidents, des combats et même des guerres dus au manque de ressources telles qu’ un manque de nourriture dû à une baisse de la production agricole mondiale, une baisse de la disponibilité et de la quantité d’eau potable dans des régions clés, due au déplacement des précipitations, entraînant des sécheresses et des inondations. Selon cette étude, au fur et à mesure que la capacité de subvenir aux besoins se réduit au niveau local et global, les tensions pourraient augmenter partout à travers le monde, conduisant à deux stratégies fondamentales : la défensive et l’offensive. Les nations ayant les moyens nécessaires de le faire pourraient construire des forteresses autour de leur pays, conservant ainsi leurs ressources pour elles-mêmes. Les nations moins fortunées, surtout celles ayant connu d’anciennes querelles avec leurs voisins, pourraient déclencher des conflits pour l’accès à la nourriture, à l’eau potable et à l’énergie.
Impacts du réchauffement climatique
Je recense sept impacts du réchauffement climatique qui devraient influer sur les politiques sécuritaires et socio-économiques.( voir notre intervention chaine parlementaire française Télévision TV LCP octobre 2022 avec de experts internationaux de renom sur l’impact du réchauffement climatique ) Premièrement, la hausse moyenne des températures provoque une fonte des glaces continentales (glaciers, icebergs, etc.) , volume de glace fondue venant s’ajouter à celui de l’océan entraîne une élévation du niveau des mers. Près de 30% de cette élévation est due à la dilatation causée par l’augmentation de la température de l’eau. Le taux moyen d’élévation du niveau marin s’accélère, qui était de près d’1,3 mm par an entre 1901 et 1971 a été de ’1,9 mm par an entre 1971 et 2006, et il atteint près de 3,7 mm par an entre 2006 et 2020, le GIEC estimant que le niveau des mers pourrait augmenter de 1,1 m d’ici 2100. Comme impact, les zones côtières seront confrontées à des inondations dans les zones de faible altitude plus fréquentes et plus violentes et à l’augmentation de l’érosion du littoral. Deuxièmement, la modification des océans qui absorbent naturellement du gaz carbonique acidifie le milieu sous-marin, ce qui provoque la disparition de certaines espèces, notamment des végétaux et des animaux tels que les huîtres ou les coraux. En plus de son acidification, la modification des océans entraîne une baisse de sa teneur en oxygène, réchauffement et augmentation de la fréquence des vagues de chaleur, affectant les écosystèmes marins et les populations qui en dépendent. Troisièmement, l’amplification des phénomènes météorologiques extrêmes provoque l’évaporation de l’eau, ce qui modifie le régime des pluies plus intenses, avec les inondations qui les accompagnent, et des sécheresses plus intenses et plus fréquentes dans de nombreuses autres régions. En effet, lors de pluies violentes, les sols ne peuvent pas fixer l’eau, s’écoulant alors directement vers les cours d’eau plutôt que de s’infiltrer, les nappes d’eau souterraines ne pouvant se reconstituer. Quatrièmement, le réchauffement climatique est une menace sur les plantes et les animaux car les cycles de croissance des végétaux sauvages et cultivés sont modifiés: gelées tardives, fruits précoces, chute des feuilles tardives, etc. Beaucoup d’espèces ne supporteront pas les nouvelles conditions climatiques et l’agriculture devra s’adapter en choisissant des espèces précoces. Cinquièmement, l’impact du réchauffement climatique bouleverse les conditions de vie humaine. Selon le rapport du Giec, environ 3,3 à 3,6 milliards de personnes vivent dans des habitats très vulnérables au changement climatique.Si le niveau des mers augmente d’1,1 m d’ici 2100, près de 100 millions de personnes seront contraintes de changer de lieu d’habitation, et certaines terres côtières ne seront plus cultivables et en plus , le changement climatique accroît les risques sanitaires: vagues de chaleur, cyclones, inondations, sécheresses, propagation facilitée de maladies. Sixièmement, les dérèglements climatiques perturbent la distribution des ressources naturelles, leur quantité et leur qualité et les rendements agricoles et les activités de pêche seront impactés, entraînant une baisse des rendements agricoles d’environ 2% tous les 10 ans tout au long du XXIe siècle. Septièmement, selon l’AIE il sera nécessaire d’investir chaque année jusqu’à 4000 milliards de dollars /an au cours de la prochaine décennie, en dirigeant la majorité de ces investissements vers les économies en voie développement, et les investissements vers les véhicules électriques, l’hydrogène, le captage / stockage du carbone, biocarburants, et miser sur l’efficacité énergétique, nécessitant la réforme du système financier mondial du fait que les obligations vertes représentent en 2021 seulement 2% de la valeur du marché obligataire mondial. Sans changement de trajectoire, les prévisions du GIEC, qui s’appuient sur la simple mise en place des politiques actuelles, envisagent une perte de production équivalant à environ 5% du PIB mondial d’ici 2050, et jusqu’à 13% d’ici 2100.
En conclusion, le sommet des pays producteurs du gaz abordera certainement les impacts négatifs du réchauffement climatique qui ont un impact encore plus dramatique sur les pays en voie de développement et donc la place du gaz dans le cadre de la transition énergétique. Car le monde connaît un bouleversement inégal depuis des siècles : d’un côté, des pluies diluviennes et des inondations, et de l’autre côté : sécheresse et incendies. Fondamentalement, si nous échouons à passer à un monde à faible émission de carbone, c’est l’intégrité globale de l’économie mondiale qui sera menacée, car le climat mondial est un vaste système interconnecté. D’une manière générale, les nouvelles mutations économiques, sociales, culturelles et miliaires et sécuritaire au sein d’un monde turbulent et instable doivent nécessairement trouver leur traduction dans des changements d’ordre systémique destinés à les prendre en charge et à organiser leur insertion dans un ordre social qui est lui-même en devenir, une stratégie axée sur la bonne gouvernance, la valorisation du savoir avec l’ objectif horizon 2030, la transition numérique et énergétique.
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