Exploitation de la mine de Gara Djebilet, 3e réservoir mondial de fer: Un projet stratégique
par Dr Abderrahmane Mebtoul
Professeur des universités, expert international et ancien directeur desétudes aux ministères de l’Industrie et de l’Énergie.
Le gisement du fer de Gara Djebilet est classé le 3e au niveau mondial, en termes de réserves, avec 3,5 milliards de tonnes, derrière l’Australie 5,1 milliards de tonnes et le Brésil 3,4 milliards de tonnes et devant la Russie 2,9 milliards de tonnes et la Chine 2 milliards de tonnes.
L’exploitation de ce gisement permettrait, selon le ministère de l’Énergie et des Mines, d’économiser deux milliards de dollars en intrants, d’exporter et de favoriser l’intégration de l’économie algérienne. Cela suppose un partenariat gagnant -gagnant et de descendre à l’aval de la filière pour la production de produits à forte valeur ajoutée (voir interview Pr Abderrahmane Mebtoul quotidien gouvernemental El-Massa -les orientations du président de la République pour accélérer ce projet -30/07/2024).
Plusieurs méthodes d’exploitation
Pour l’exploitation du fer existe plusieurs méthodes. Élément chimique utilisé depuis la préhistoire, le fer compose 5% de la croûte terrestre, les alliages contenant du fer étant utiles dans l’alimentation, les médicaments mais surtout pour la fonte et tous les produits de la sidérurgie, environ 98% étant destiné à l’acier, dont 70% de matières premières brutes et 30% à partir de la ferraille. Le minerai de fer est une roche contenant du fer, généralement sous la forme d’oxydes, comme l’hématite. Les minerais de fer ont une teneur en fer variable selon le minéral ferrifère ; sachant également que l’isomorphisme, presque toujours présent dans les minéraux naturels, réduit la teneur théorique. Par rapport à leur teneur en fer, les minerais sont classés en : minerais pauvres : Fe = 30 %, en minerais moyens : Fe = 30 % ÷ 50 % et en minerais riches : Fe 50 % .Pour obtenir du fer de haute pureté, on peut soit purifier un sel de fer et en extraire ensuite le fer métallique par une opération de réduction chimique ou électrolytique, soit purifier directement un échantillon de fer métallique. Dans chaque cas, plusieurs méthodes de purification peuvent être utilisées, mais aucune ne permet à elle seule d’obtenir un fer très pur. Chaque procédé élimine plus spécifiquement certaines impuretés et les meilleurs résultats sont obtenus en combinant judicieusement plusieurs purifications. On peut résumer le processus d’extraction et de traitement des terres rares de la manière suivante: 1re étape : extraction, le plus souvent à ciel ouvert ; 2e étape : broyage du minerai en une fine poudre ; 3e étape : séparation des métaux rares du reste du minerai ; la méthode la plus courante est la flottation qui utilise beaucoup d’eau et de produits chimiques ainsi qu’une importante quantité d’énergie. La concentration en terres rares à la fin de la seconde étape est faible (entre 1 et 10%) ; elle est grandement améliorée à l’issue de la 3ème étape (entre 30 et 70 %) en laissant d’énormes quantités de résidus : il s’agit d’une mixture composée d’eau, de produits chimiques et de minéraux terreux. Ces déchets sont généralement abandonnés dans des réservoirs naturels ou artificiels entourés de digues, ce qui constitue un risque de pollution à court et long terme. Dans la plupart des cas, ces déchets contiennent des substances radioactives (uranium, thorium et autres déchets), des fluorures, des sulfures, des acides et des métaux lourds. Ce type de stockage peut avoir des conséquences environnementales désastreuses (pollution des sols et de l’eau) à cause de la toxicité des résidus s’il s’écroule ou fuit. Plusieurs causes peuvent conduire à cette extrémité : des pluies torrentielles peuvent le faire déborder ; si le stockage n’est pas étanche et si le stockage s’écroule (pluies torrentielles, construction de piètre qualité, tremblement de terre) des conséquences similaires peuvent découler des mines à ciel ouvert abandonnées et des résidus de minerai laissés sur le terrain. De plus, l’extraction et le traitement engendrent également une pollution de l’air due aux poussières toxiques (substances radioactives, métaux lourds) qui se dégagent si des mesures adéquates ne sont pas prises. Le lessivage des constituants toxiques, tels que l’arsenic, le sélénium et les métaux, peut se produire même si les conditions acides ne sont pas présentes. Des facteurs de risque qu’il est essentiel de prendre en compte.
L’exploitation implique de poser l’importance de l’énergie et de l’eau. Des niveaux élevés de composés contrôlés, le drainage d’acide de mine peut se déverser dans les ruisseaux ou les rivières ou encore dans les eaux souterraines. Le drainage d’acide de mine peut provenir de n’importe quelle partie de la mine où les sulfures sont exposés à l’air et à l’eau, y compris des tas de déchets de roches, des résidus, des mines à ciel ouvert, des tunnels souterrains et des coussins de lixiviation. Aussi, la capacité de drainage de l’acide minier est une question-clé. La réponse déterminera si un projet minier proposé est acceptable pour l’environnement. Les effets sur la qualité de l’eau et de la disponibilité des ressources en eau dans la zone du projet constituent peut-être l’impact le plus important d’un projet d’exploitation minière. Les questions clés sont de savoir si les fournitures en eau de surface et en eaux souterraines resteront appropriées à la consommation humaine, et si la qualité des eaux de surface dans la zone du projet restera adéquate pour supporter la vie aquatique et la faune terrestre native. Les besoins énergétiques de l’activité minière sont largement dépendants du type de mine d’où sont extraites les matières premières recherchées. Ils sont plus importants dans le cas de l’activité minière souterraine du fait des opérations de transports des matériaux vers la surface, du pompage des eaux, de la ventilation, de la climatisation des galeries. Une étude a établi un comparatif pour la consommation d’énergie suivant le type de mine de 5 à 10 kW/t de matière première pour une mine à ciel ouvert et de 20 à 50 kW/t de matière première une mine souterraine (au-delà de 5000 mètres), soit environ 4 à 5 fois plus d’énergie consommée pour une mine souterraine que pour une mine de surface. Bien entendu, la profondeur à laquelle on extrait les minéraux influe fortement sur la quantité d’énergie et de matières premières à mettre en œuvre pour les ramener à la surface. Quand on parle d’extraction ultra-profonde (au-delà de 5 000m), que ce soit en souterrain ou au fond des mers, on comprend bien que la quantité d’énergie et de matériel à mettre en œuvre va également croître de manière très importante. L’énergie nécessaire à l’extraction et au traitement des minerais est le point le plus important à mettre en avant dans l’empreinte environnementale de l’activité minière. Concernant les sidérurgies, et c’est une moyenne, variable, pour la consommation d’électricité, les fours les plus performants permettant 30 coulées/jour, le maximum étant 7850 coulées /an consommation est de 300/350 kWh/t et la consommation de dioxygène de 30 mètres cubes par tonnes.
La concrétisation d’un projet qui date de plusieurs décennies
Le projet d’exploitation de la mine de Gara Djebilet date de plusieurs décennies. La découverte du gisement de Gara Djebilet date depuis les années 1950 avec les études du Bureau de recherche minière en Algérie en 1953, le Bureau d’investissement en Afrique en 1959, le Service d’études et recherches minières en 1961 jusqu’aux premières tentatives de développement à titre expérimental du site avec l’entrée en scène de la Sonarem après la nationalisation des mines , dont l’effort d’expérimentation a été stoppé net en 1975. Les avis d’appel internationaux à manifestation d’intérêt lancés par Sonatrach, détenteur depuis 2009 du titre minier (adjudication, exploration) n’ont pas connu le succès escompté. Resté au stade de la «préfaisabilité», le dernier «projet intégré de Gara Djebilet», mis sur pied en 2005 prévoyait aussi bien l’exploitation proprement dite jusqu’à la production du fer. Ce projet intégrait l’extraction du minerai de fer avec option pour son enrichissement sur place, son transport par voie ferroviaire (projet de chemin de fer reliant Tindouf à Béchar vers le nord du pays, une usine sidérurgique proche d’un port en cas d’exportation d’une partie du produit et la construction d’une cité minière près du site appelé à accueillir une importante main-d’œuvre. La mine de fer de Gara Djebilet avec des réserves estimées à 3,5 milliards de tonnes, dont 1,7 milliard de tonnes sont exploitables est composée de trois zones d’exploitation: Gara Djebilet-Ouest, Gara Djebilet-Centre et Gara Djebilet-Est. Le lancement du projet est tributaire de la disponibilité de quantités suffisantes d’eau dans la région, les infrastructures ferroviaires et énergétiques dont la réalisation de la ligne ferroviaire reliant Béchar à Tindouf (950 km),inauguré récemment par le président de la République, destinée à acheminer le minerai de fer vers les sites de transformation et d’exploitation et de la résolution des difficultés techniques notamment celles liées à la teneur élevée du minerai en phosphore et en arsenic en parvenant à réduire le taux du phosphore dans le fer pour le porter de 0,8% à 0,03%, offre la possibilité à l’Algérie soit d’exporter le fer à l’état brut soit de le transformer localement. C’est dans ce cadre que rentre, selon l’APS, le méga-gisement de fer de Gara Djebilet, dont le président de la République a procédé à la pose de la première pierre du projet d’usine de traitement du minerai de fer le 01 décembre 2023. Ce projet dont la concrétisation est prévue depuis de longues décennies constitue l’un des plus importants projets structurants sur lesquels mise l’Algérie pour impulser une nouvelle dynamique à son économie, tout en générant 15.000 emplois, sur une main d’œuvre prévisible de 20.000 travailleurs, données du ministère de l’Energie et des mines.
Créer de la valeur ajoutée
Qu’en est-il de la rentabilité ? En juin 2024 , le prix de l’acier est coté à 750 dollars la tonne et le prix du fer brut s’établit à 100 dollars la tonne, montrant l’importance de la transformation pour avoir une forte valeur ajoutée mais nécessitant d’importants investissements en aval. Pour les autres produits nous avons pour toujours en juin 2024 le prix de l’aluminium s’établit à 2600 dollars la tonne. La fabrication d’aluminium nécessitant une grosse quantité d’énergie, son prix est étroitement lié à celui du gaz/pétrole nécessitant une grosse quantité d’énergie, le prix du cuivre s’établit à 9290 dollars la tonne. L’exploitation du mégaprojet de Gara Djebilet se fera à travers un mémorandum d’entente se fera par l’Enterprise national publique FERAAL, et un consortium chinois composé de trois entreprises, a savoir , MCC , CWE, et HEYDAY SOLAR . Dans ce sens, la solution avancée par le consortium s’articule autour de la mise en place de réseaux intelligents d’énergie de l’intégration de l’énergie renouvelable pour l’extraction du minerai, à travers le procédé photovoltaïque. A cela s’ajoute pour la réduction de coûts, l’option des camions éclectiques pour le transport. L’exploitation se déroule en plusieurs phases sur une période allant de 2022 à 2040. La première phase (2022-2025) connaîtra une production de 2 à 3 millions tonnes/an de minerai de fer à acheminer par voie terrestre vers la wilaya de Béchar, pour arriver, à partir de 2026, à une production annuelle oscillant entre 40 et 50 millions de tonnes L’approche intégrée pour l’exploitation du gisement, ce dernier sera renforcé par un complexe sidérurgique dans la wilaya de Bechar, via un investissement d’un milliard de dollar et qui sera réceptionné en 2026. Ce complexe industriel sera spécialisé dans la production des rails et des profilés en acier, notamment. Cette usine compte également plusieurs unités de traitement et de transformation du fer et d’autres de fabrication de wagons pour le transport du minerai de fer de Gara-Djebilet vers Bechar et le complexe sidérurgique de Bethioua (Oran). Quel est la rentabilité du fer de Gara Djebilet au cours mondial du fer brut de juin/juillet 2024 devant tenir compte du coût et de l’évolution vecteur prix au niveau international et prévoir des coûts supplémentaires pour protéger l’environnement ainsi qu’une formation pointue, l’université de Béchar devant être associée. En prenant l’hypothèse optimiste, d’’un cours de 130 dollars la tonne, c’est une hypothèse , pour la phase préliminaire de trois millions de tonnes le chiffre d’affaires serait de 390 millions de dollars, pour le profit net, devant retirer les coûts importants de 50% selon les normes internationales et la part du partenaire étranger 49%, restant à l’Algérie environ 100 millions de dollars. Pour un million de tonnes/an, c’est un montant dérisoire de 130 millions de dollars restant à l’Algérie en tant que profit net seulement 33 millions de dollars. La seconde phase entre 2026/2030 verrait une production entre 40/50 millions de tonnes avec une augmentation progressive entre 2030/2040. Pour une exportation brute de 30 millions de tonnes, nous aurons un chiffre d’affaires de 3,90 milliards de dollars. Ce montant c’est le chiffre d’affaires et non le profit net auquel on doit soustraire les coûts très élevés représentant environ 50% du chiffre d’affaires, soit 1,95 milliard de dollars, à se partager, selon la règle des 49/51%, avec le partenaire étranger restant à l’Algérie pour le profit net environ 995 millions de dollars, et ce, pas avant 2030.Le 09 mai 2022, le ministre des Mines (source APS) annonce officiellement que la réalisation du projet de Gara Djebilet nécessitera la réalisation de plusieurs installations, ayant un coût variant entre 1 et 1,5 milliard de dollars par an sur une période allant de 8 à 10 ans donnant entre 12 et 15 milliards de dollars dont le retour en capital se fera entre 7/8 ans donc vers 2030. Cela n’est pas propre à ce projet , après le début d’exploitation en T0 la rentabilité d’une PMI/PME concurrentielle, sous réserve de la levée des contraintes des bureaucratiques, se situe entre ¾ ans et pour les projets hautement capitalistiques entre 7/8 ans.
En conclusion, ce projet bien mené peut contribuer grandement à l’intégration de l’économie nationale ( substitution à l’importation ) et sous réserve, suite aux orientations du Conseil des ministres de ne pas exporter de fer brut, de descendre à l’aval pour la fabrication de produits nobles, favoriser l’intégration de l’économie nationale , dynamiser les exportations hors hydrocarbures et donc permettre des entrées en devises.( voir interview donnée au quotidien arabophone gouvernemental El Massa du 30 juillet 2024 sur ce sujet).Selon les données du Ministère de l’Energie la rentabilité potentielle est prévue vers 2028/2030 , sous réserve qu’il n’y ait pas retard ,la ligne ferroviaire devant être opérationnelle fin décembre 2026 pour la première phase , et donc pas de réévaluation du projet. L’exploitation du fer brut de Gara Djebilet ne procurera pas de rente, contrairement au segment hydrocarbures, mais un taux de profit moyen, sous réserve de la maîtrise des coûts. L’on devra descendre à l’aval de l’arbre généalogique, les aciers spéciaux, pour avoir une grande valeur ajoutée mais cela nécessitera une formation pointue et de lourds investissements (plusieurs milliards de dollars).
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