Tensions au Moyen Orient : Quel impact sur la sphère énergétique ?
Par Abderrahmane Mebtoul
Professeur des universités, expert international en géostratégie, directeur d’études au ministère de l’Énergie et à la Sonatrach (1964-1976), Président de la commission transition énergétique des 5+5+Allemagne (2019-2021) membre de plusieurs organisations internationales.
Le conflit actuellement entre l’Iran et Israël a des implications sur le Moyen Orient mais concerne l’ensemble du monde. Entre flambée des tensions géopolitiques et manœuvres stratégiques, les marchés s’enflamment.
Alors que les tensions militaires entre Israël et l’Iran s’intensifient, les analystes revoient leurs prévisions. A moyen et long termes, cela entre dans le cadre d’une stratégie visant une profonde reconfiguration géostratégique de cette région qui ne fait pas sans rappeler le plan du Grand Moyen Orient qui aura des implications sur l’Afrique du Nord et l’Afrique noire via toute la région sahélienne . Nous avons trois scénarios : premièrement , une longue guerre ouverte entre Israël et l’Iran pourrait perturber les marchés énergétiques et les routes commerciales de la région, abritant certaines des plus grandes réserves de pétrole et de gaz au monde financièrement rentables, ce qui aurait des répercussions mondiales. Deuxièmement, on doit tenir compte en dehors de cet espace les réserves et production de gaz – pétrole des USA, de la Russie, les trois premiers producteurs avec l’Arabie Saoudite, du Venezuela, du Nigeria, du Mozambique en Afrique, les réserves de l’Ile de la Tortue du Sénégal -Mauritanie , et surtout de la Libye dont la stabilisation pourrait bouleverser tout l’échiquier de l’espace euro méditerranéen, étant la plus grande réservoir de pétrole en Afrique plus de 44 milliards de barils, plus de 1500 milliards de mètres cubes de gaz exploité à peine à 10% et en hydrogène vert, bleu et blanc, pour moins de 7 millions d’habitants. Aussi un accroissement de la production, en plus des autres pays membres ou non de l’OPEP, en cas de persistance de la crise n’est pas exclu. Troisièmement, le scénario le plus réaliste, contrairement, à certains sites qui annoncent déjà un cours à 15à dollars , qu’une solution sera trouvée afin d’éviter une récession de l’économie mondiale, le baril devant tourner selon les prévisions pour 2025 autour de 63-65 dollars le baril, 60 dollars en 2026, et de 30-33 dollars le mégawattheure pour le gaz . Cette présente contribution rappelle la situation socio-économique de l’Iran qui est une grande civilisation et les impacts énergétiques de ce conflit qui a fait grimper soudainement le prix du pétrole les 14-15 juin 2025 à plus de 74,23 dollars le baril contre 63 et le prix de cession du mégawattheure du gaz à 40 dollars contre 32 dollars avant le conflit.
1.-Quel est le système politique et institutionnel en Iran
Selon la constitution de 1979 , le système institutionnel iranien, fait cohabiter deux légitimités: d’une part une légitimité démocratique issue du suffrage populaire et une légitimité religieuse, d’autre part, incarnée en priorité par le Guide de la Révolution. Ainsi, même si la majorité du gouvernement est élue par le peuple iranien au suffrage universel, directement ou indirectement, le conseil des gardiens (élu indirectement) peut opposer son véto à toute candidature aux élections.
Nous avons l’Assemblée du groupe des experts composé de membres, tous religieux, sont élus pour un mandat de huit ans ayant pour tâche de nommer le Guide suprême, d’évaluer son action et de le destituer s’il est jugé inapte à accomplir son devoir.
Le Guide suprême, autorité religieuse dominante, est élu ou/et révoqué par l’Assemblée des experts, composée de membres religieux élus pour 8 ans au suffrage universel direct, qui valide l’élection du président de la République. C’est le Guide, et non le président, qui contrôle les forces armées et prend les décisions en matière de sécurité, de défense et de politique étrangère, étant habilité à nommer le chef du système judiciaire, les membres du Conseil des gardiens de la révolution, les commandants des forces armées, les imams des prières du vendredi et le directeur de la station de radio et télévision. Il valide aussi l’élection du président. Dans ce cadre, en plus des forces régulières, les forces armées comptent le corps des gardiens de la révolution (Pasdaran), avec pour mission de combattre ceux qui sont opposés à la révolution où les principaux chefs des armées et des gardiens de la révolution sont nommés par le Guide suprême et ne rendent compte qu’à ce dernier. Le guide est assisté par un Conseil de discernement, qui est un organe consultatif qui soumet ses analyses au Guide suprême dont les membres du Conseil sont des personnalités religieuses et politiques de premier plan.
Le président de la république, deuxième personnage de l’Etat est élu pour un mandat de quatre ans et ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs. En tant que chef de gouvernement, il signe les traités et accrédite les ambassadeurs. Mais en pratique, ses prérogatives sont limitées et pouvant être destitué par le Guide suprême et même s’il nomme les ministres, leur nomination doit être approuvée par le Parlement et indirectement par le Guide suprême très impliqué dans les affaires liées à la défense, à la sécurité et à la politique étrangère.
Le pouvoir législatif dit parlement est composé de députés élus tous les 4 ans au suffrage universel supervisé par un Conseil des gardiens de la Constitution qui approuve ou s’oppose aux résolutions de l’assemblée.
2.-Quelle est la situation de l’économie iranienne ?
L’Iran compte 91,5 millions d’habitants en 2024, avec un fort taux d’alphabétisation d’environ 87% pour la population totale, des hommes d’environ 91,2% et celui des femmes de 82,5%. La superficie est de 1 648 000 km 2, avec comme capitale Téhéran, et les villes principales sont Mashhad, Ispahan, Tabriz, Karaj… L’Iran est bordé au nord par la Mer Caspienne, au sud-est par le golfe d’Oman et au sud par le golfe Persique. Elle partage des frontières avec le Turkménistan au nord-est, l’Afghanistan à l’est, le Pakistan au sud-est, l’Irak à l’ouest, la Turquie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan au nord-ouest. En 2024, le PIB de l’Iran est estimé à environ 401 milliards de dollars, ce qui le situe au 40e rang des économies mondiales selon le FMI avec une population d’environ 86 millions d’habitants faisant de l’Iran le plus grand marché du Moyen-Orient en termes de population. En 2024, l’économie iranienne a connu une croissance de 2,8 %, selon le Centre de recherche du Parlement iranien. Cependant, les prévisions pour 2025 sont plus mitigées, avec une croissance prévue autour de 0,3% à 1,1%, en raison des incertitudes liées aux pressions économiques américaines et au ralentissement de la demande. En 2024,selon Trading Economics, le PIB par habitant de l’Iran est estimé à environ 5667,53 dollars US . En parité de pouvoir d’achat (PPA), le PIB par habitant est de 15 912,03 dollars américains. Selon le site international Moci, en 2024 les exportations iraniennes se sont élevées à 97,4 milliards de dollars, dont les services de 6,53 milliards de dollars et les importations de 66,1 milliards de dollars, traduisant une balance commerciale positive avec une dynamisation des exportations hors hydrocarbures qui ont connu une croissance estimée à 4% qui s’est poursuivie en 2024 de 3.8% pour un montant de 42,246 milliards de dollars. Les principaux clients et partenaires commerciaux de l’Iran, tant pour les importations que pour les exportations, sont la Chine, les Emirats arabes unis, la Turquie et l’Irak et à un degré moindre la Russie pour le matériel militaire. La Chine est de loin le premier partenaire commercial de l’Iran, suivie par les Émirats arabes unis, la Turquie, l’Inde et l’Afghanistan. Les réserves de change de l’Iran se situent autour de 30 à 40 milliards de dollars bien que certaines sources suggèrent des chiffres plus élevés. Ces réserves sont principalement constituées de devises étrangères, d’or, et d’autres actifs. Cependant, il est important de noter qu’une partie importante de ces réserves est bloquée en raison de sanctions internationales, limitant leur disponibilité pour l’Iran. Devant différencier la dette extérieure de la dette publique brute, selon Trading Economics, pour la dette extérieure de l’Iran a connu des fluctuations, atteignant un pic de 28,6 milliards de dollars en mars 2008 et diminuant à 6,3 milliards de dollars en mars 2023, et en 2024, elle est estimée à 4, 412 milliards de dollars, , un taux d’endettement relativement faible . Quant à la dette publique, exprimée en pourcentage du produit intérieur brut (PIB), elle connaît d’importantes fluctuations selon la politique budgétaire, ayant atteint un pic de 48,27% en 2020, puis a diminué pour atteindre 30,55% en 2023 et en moyenne, entre 1996 et 2024, elle s’est établie à 28,63% du PIB. Quant au taux de change en Iran, il est influencé par de nombreux facteurs, notamment les sanctions internationales, la situation politique et économique du pays, ainsi que la demande et l’offre de devises étrangères. Pour tenter de stopper la chute libre de sa devise, l’Iran a choisi de resserrer les liens entre le rial et le billet vert avec un taux de change fixe de 42.000 rials par dollar , mais pouvant varier est désormais en vigueur dans tout le pays, confronté au déclin de sa devise où le 14 juin 2025 il est coté à 42100, devant préciser qu’il existe également un marché noir où le taux de change peut être bien plus élevé, parfois plus de deux fois supérieur au taux officiel. Pour les autres indicateurs, selon Statistica, en 2023, le taux d’inflation en Iran a été d’environ 40,70% et le taux de chômage en 2024 est estimé à 8,9% , contre 9% entre 2022-2023. Le secteur des services représente environ 54,3% du Produit Intérieur Brut (PIB) étant secteur est le plus important contributeur à l’économie iranienne, devançant l’industrie (35,9%) et l’agriculture (9,8%. La production pétrolière représente 23 % de la richesse. L’industrie manufacturière et l’exploitation minière contribuent à hauteur de 13 % à la production, et l’agriculture à hauteur de 10 %, la dernière grande composante du PIB étant la construction et la distribution d’électricité, de gaz et d’eau, qui représentent 7 % de la production totale.
Impacts sur la sphère énergétique
Le Moyen-Orient représente 32,7% de la production du pétrole et 20% du gaz naturel et pour les réserves 60% de pétrole et 40% de gaz naturel. L’Iran a des réserves de 30.000 milliards de mètres cubes gazeux , derrière la Russie 34.000 milliards de mètres cubes gazeux et devant le Qatar 200.000 milliards de mètres cubes gazeux et des réserves de pétrole estimées à 160 milliards de barils. L’Iran comme d’ailleurs la Russie, confrontés aux sanctions occidentales, fortement dépendantes des ventes d’hydrocarbures détient 11,5% des réserves mondiales de pétrole conventionnel, la deuxième au Moyen-Orient derrière l’Arabie Saoudite (la première réserve mondiale étant le Venezuela mais pétrole lourd), le quatrième producteur mondial entre 3,5 et 4 millions de barils/j et la seconde réserve mondiale de gaz derrière la Russie 15% des réserves mondiales et sa capacité de production de gaz est de plus d’un milliard de mètres cubes par jour, mais comme pour le pétrole, nous devons tenir compte de la forte consommation intérieure, le prix sur le marché intérieur étant largement inférieur au prix du marché international. Mais surtout l’Iran contrôle le détroit d’Ormuz où transitent environ 25/30% des produits d’hydrocarbures qui est bordé par le sultanat d’Oman reliant le Golfe persique à la mer d’Arabie et à l’océan Indien. Cet étroit passage maritime est l’un des points névralgiques du commerce mondial, ce qui lui confère une haute importance stratégique. Plus des trois-quarts de ces exportations sont destinés aux pays d’Asie, en premier lieu la Chine, l’Inde et le Japon. Si l’Arabie Saoudite et les Emirats ont établi un réseau d’oléoducs pour contourner le détroit, ces voies alternatives comportent en réalité des volumes limités. Face aux sanctions imposées par l’Occident sur son pétrole, Téhéran a menacé de bloquer cette voie maritime. Si le conflit entre l’Iran et Israël se propage aux pays voisins, les conséquences tant géostratégiques que pour l’économie mondiale pourraient être particulièrement lourdes, avec comme impact direct des interruptions d’approvisionnement en hydrocarbures renchérissant le coût de l’énergie de toutes les chaînes d’approvisionnement et leurs coûts de production avec un prix qui dépasserait les 100 dollars le baril, des pressions inflationnistes avec à terme une récession économique dont les premières victimes seront les pays les plus vulnérables et paradoxalement les pays producteurs de pétrole du fait de la baisse de la demande. Il y a lieu aussi de tenir compte les tensions en Mer rouge, où transitent entre 12/15% du commerce mondial de marchandises, jouant un rôle particulièrement important dans les échanges Europe-Asie (40 % des échanges), où selon l’Institut Kiel, le coût du fret pour un conteneur navigant entre la Chine et l’Europe est passé en moyenne de 1500 dollars à 4000 dollars. Selon le volume exporté et les fluctuations des prix, les hydrocarbures en Iran représentent 85 à 90% des recettes d’exportation et 40 à 50% des ressources budgétaires. Afin de combler ces besoins et faute de pouvoir s’approvisionner en produits occidentaux, l’Iran renforce ses partenariats avec les pays frontaliers et l’Asie, au premier plan, la Chine souvent à des prix préférentiels comme d’ailleurs la Russie en direction de l’Inde et de la Chine. La plupart des sites de production iraniens sont concentrés et vulnérables, car principalement situés à proximité de l’Irak ou en off-shore dans le Golfe arabo-persique. Or deux régions d’Iran (Lorestan et Khûzistân pour le pétrole, South Pars pour le gaz) recèlent 90% de son pétrole et 63% de son gaz. En conclusion , les relations de l’Iran avec ses principaux voisins, en particulier l’Arabie Saoudite, Israël, l’Egypte, la Russie, Oman et les Emirats arabes unis, continueront de façonner le paysage extérieur, ainsi que l’avenir de l’Irak, du Liban, de la Syrie, du Caucase du Sud. L’avenir de la Palestine, les rivalités actuelles, la concurrence pour l’influence et les luttes de pouvoir régionales des grandes puissances et leurs sous traitants pourraient potentiellement accroître les tensions et modifier la carte régionale ademmebtoul@gmail.com