Débats

La transition écologique des secteurs les plus difficiles

par Jules Kortenhorst

Jules Kortenhorst est directeur général du Rocky Mountain Institute (RMI).

Les dirigeants de la planète prennent des décisions de plus en plus ambitieuses pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et limiter les conséquences catastrophiques du changement climatique. Mais pour que ces engagements se traduisent par des résultats, il faut rapidement accélérer la décarbonation de tous les secteurs de l’économie mondiale.

Le processus sera relativement aisé pour des secteurs comme l’électricité et l’automobile individuelle, où des solutions de remplacement par des énergies propres sont prêtes à être déployées à grande échelle. Mais il sera beaucoup plus difficile pour l’aviation, le ciment, la navigation, l’acier et d’autres dont la dépendance aux énergies fossiles est difficile à réduire.

Dans ces secteurs, la neutralité carbone nécessite la commercialisation rapide de technologies qui ne sont pas tout à fait prêtes à un déploiement d’ampleur, et dont la commercialisation exigera qui plus est une coordination entre les différentes industries. Les fabricants d’acier, par exemple, vont devoir s’entendre avec leurs clients, leurs partenaires financiers, les responsables politiques et d’autres parties prenantes pour décider d’une trajectoire de décarbonation.

Ce consensus est nécessaire pour garantir que chacun comprenne quelles sont les technologies qui font des progrès et à quel rythme. C’est cette connaissance qui permettra à chacun d’intégrer les processus d’investissement dans des actifs sobres en carbone sur des cycles longs d’utilisation, qu’il s’agisse d’aciéries, de cimenteries, de navires ou d’avions.

Parvenir à un tel niveau de coordination d’industries mondiales n’a rien de facile, mais peut être fait. En témoigne le trafic maritime, qui propose déjà une trajectoire de décarbonation mondiale sous l’égide de la coalition Getting to Zero du Forum maritime mondial. Le processus de coordination, en quatre étapes, défini dans les principes de Poséidon, est aujourd’hui repris par d’autres secteurs difficiles à décarboner, sous la direction du Mission Possible Partnership (MPP).

Le MPP est une coalition mondiale regroupant des décideurs en matière industrielle et climatique qui s’attache à dynamiser les efforts visant à la décarbonation, au cours des dix prochaines années, des industries les plus émettrices dans le monde. Sa priorité est cette année de mettre en lumière, lors de la conférence de Glasgow sur les changements climatiques, au mois de novembre, les principaux secteurs dont la consommation d’énergie fossile est difficile à réduire.

Alors que les précédentes conférences des Nations Unies sur les changements climatiques se sont principalement centrées sur les engagements au niveau des pays et des politiques publiques, des mécanismes supplémentaires doivent être mis en place pour accélérer le rythme de réduction des émissions. Les objectifs climatiques ambitieux demeureront hors d’atteinte tant que les dirigeants des industries les plus émettrices n’auront pas décarboné toutes leurs chaînes d’approvisionnement. Comme aime à le dire mon ancien collègue de BlackRock, Paul Bodnar : « L’économie réelle n’est pas une question secondaire. » Il est essentiel que nous considérions que l’industrie a autant d’importance que les gouvernements nationaux.

Quelques technologies joueront un rôle essentiel dans les efforts de décarbonation des secteurs difficiles, au premier chef celle de l’hydrogène vert, produit par électrolyse de l’eau à partir d’électricité renouvelable. Des projets de production à grande échelle de cet hydrogène vert sont déjà en cours, avec des programmes comme le 
Green Hydrogen Catapult et le récent Hydrogen Shot annoncé par le département de l’Énergie des États-Unis, conçu sur le modèle du programme SunShot, parvenu à faire baisser rapidement les coûts des panneaux solaires. En outre, on peut déjà noter des signes avant-coureurs d’une demande croissante de l’industrie pour les produits à faibles émissions rendus possibles par l’hydrogène vert. Le fabricant automobile Volvo, par exemple, annonce qu’il s’approvisionnera en acier sans énergie fossile que propose le consortium suédois d’acier vert, HYBRIT.

Les technologies qui améliorent les rendements énergétiques sont un autre élément clé (même si elles soulèvent moins d’enthousiasme) dans la décarbonation des secteurs difficiles. Qu’il s’agisse de construire des avions plus légers ou des immeubles plus sobres en acier, moins une industrie, dans son ensemble, utilise d’énergie, plus simple devient le processus de décarbonation. Une récente analyse de la Commission des transitions énergétiques (CTE) montre que le premier pas pour construire une économie mondiale neutre en carbone d’ici 2050 est tout simplement une moindre consommation, avant le passage à l’échelle et la généralisation des sources d’énergies propres.

La CTE souligne aussi l’importance de la capture et de la séquestration du carbone, qui sera non seulement nécessaire pour compenser les émissions des procès industriels ne pouvant être complètement décarbonés, mais aussi pour réduire les niveaux du dioxyde de carbone déjà émis dans l’atmosphère. Le compte des émissions historiques est un processus complexe que la plupart des dirigeants industriels doivent encore considérer. Mais ils feraient mieux de commencer à y penser dès à présent, car toute trajectoire réaliste pour maintenir le réchauffement climatique sous le seuil de 1,5° Celsius au-dessus des niveaux préindustriels devra passer par une réduction du CO2 contenu dans l’atmosphère.

Nous devons non seulement ôter de l’atmosphère d’énormes quantités de CO2, mais aussi trouver des solutions de stockage à long terme pour les maintenir prisonnières pendant des centaines, voire des milliers d’années. C’est concernant cette question que l’écart entre l’objectif de neutralité carbone et les technologies existantes est le plus important.

Qui supportera les coûts engendrés par les solutions qu’il faut apporter au problème ? Nombreux sont ceux, assurément, qui affirment que les pays et les entreprises responsables de la plus grande part des émissions historiques doivent assumer, dans la capture et le stockage de CO2 le même niveau de responsabilité. Dans un article à paraître, le Global Future Council on Net-Zero Transition du Forum économique mondial examinera cette question et détaillera différentes façons de parvenir à un consensus sur la responsabilité des émissions historiques.

Alors qu’approche la COP26, nous devons prêter à ces défis toute l’attention nécessaire. Les gouvernements nationaux tout comme les industries mondiales doivent agir immédiatement pour réduire les émissions ; il n’est plus acceptable de se contenter d’engagements à l’action. Plus longtemps nous échouerons à fixer des trajectoires plus durables de développement, plus il nous sera difficile de maintenir les températures à un niveau qui ne présente pas de danger. Et même si nous parvenons à réduire quelque peu les émissions annuelles, ce sont les quantités cumulées de CO2 dans l’atmosphère qui importent. Et si elles continuent d’augmenter, le problème ne sera pas résolu.

Il nous faut partout des dirigeants mondiaux qui comprennent l’étendue et l’urgence de la crise à laquelle nous sommes confrontés. Dès à présent, une collaboration radicale et une action coordonnée sont nécessaires, pour tout le monde. Nous seulement les générations futures dépendent de nous, mais aussi les dizaines de millions de personnes qui souffrent déjà de vagues de chaleurs, d’incendies, d’inondations, de sécheresses et de tempêtes terribles. De la Californie et du Texas à des régions entières d’Afrique, d’Asie et du Moyen-Orient, les conséquences catastrophiques de la crise climatique se combinent. Si les coûts de la réduction des émissions sont importants, ils demeurent négligeables comparés à ce que seraient ceux d’un échec.

Traduit de l’anglais par François Boisivon

Copyright: Project Syndicate, 2021.

www.project-syndicate.org

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