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Obstacles à la récupération des avoirs détournés : L’empreinte de la contre-révolution

La récupération des avoirs spoliés et détournés par la Issaba vers l’étranger est l’un des engagements phare du président de la République, Abdelmadjid Tebboune. Or, le processus est complexe, demande du temps et beaucoup de célérité.

Cependant, si le processus est difficile, il doit aussi faire face à une autre difficulté de taille : la lenteur du traitement judiciaire des dossiers liés à la corruption qui retarde d’ailleurs le prononcé de jugements définitifs, condition sine qua-non pour le lancement effectif du processus de récupération des avoirs volés. Deux ans après le début des premiers grands procès pour corruption, la Justice a toujours maille avec les symboles du système de corruption qui a régné sous l’ère Bouteflika. Notre confrère Le Soir d’Algérie annonçait mardi que pas moins de 13 procès pour corruption allaient s’ouvrir au cours des prochains jours, dont neuf procès en appel. Des procès qui concernent l’ancien DGSN Abdelghani Hamel qui doit de nouveau comparaître dans deux affaires. Il s’agira également de l’affaire Tahkout, ainsi que le dossier du montage automobile qui concerne les hommes d’affaires Mohamed Bairi, Hassan Larbaoui et Ahmed Maâzouz qui vont être rejugés. La Justice va également ouvrir le dossier Condor plus de deux ans après le début de l’instruction et elle a décidé de scinder le dossier en deux parties : les anciens ministres et hauts responsables seront jugés d’un côté, tandis que les frères Benhammadi seront jugés de l’autre. L’ex-Premier ministre Abdelmalek Sellal va, lui aussi repasser devant le juge, cette fois-ci en compagnie de son ancien directeur de cabinet Mustapha Rahiel dans une affaire de malversation. D’autres procès sont toujours en attente, comme ceux de l’ancienne ministre de l’Industrie, Djamila Tamazirt, en lien avec Mohamed Laid Benamor dans le cadre de l’affaire liée à l’acquisition des Moulins de Corso par le groupe Benamor ainsi que dans le cadre de l’Affaire du détournement de blé subventionné au profit de moulins privés. Que dire de l’ancienne ministre des PTIC, Houda Imane Feraoune, de l’ancien ministre de la Justice, Tayeb Louh ou de Saïd Bouteflika qui attendent d’être jugés dans le cadre d’autres affaires. Tout ce processus retarde le prononcé de jugements définitifs. Ce process qui ne se penche que sur la partie émergée de l’iceberg de la corruption retarde surtout l’échéance de l’ouverture des grands dossiers, ceux de Sonatrach, de l’Autoroute Est-Ouest, et ceux de la passation des marchés de grandes infrastructures et privatisations dont ont largement bénéficié de manière indue les groupe ETRHB d’Ali Haddad et KouGC des frères Kouninef. Là où la spoliation et les détournements a ont atteint un niveau astronomique.

C’est ce qui se pousse certains observateurs à s’interroger sur les motifs d’une telle lenteur. Bien que la volonté de lutter contre la corruption soit clairement affichée, l’inquiétude est bien réelle quant à l’existence d’une volonté effective de bloquer tout processus de changement et de traitement définitif de la question de la corruption et de la récupération des avoirs volés par les meneurs de la contre-révolution. D’ailleurs, ces avoirs dissimulés, notamment dans des banques à l’étranger, servent bien les objectifs de la contre-révolution à travers le financement des réseaux de la désinformation et de la déstabilisation politique et sociale. Cela a d’ailleurs été bien souligné par le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, lors de l’une de ses rencontres avec les représentants de la presse nationale. 

Une question de sécurité nationale

Une question demeure. Que faire pour faire avancer les choses ? Dans ce sens, il faut comprendre que le processus de récupération des avoirs qui devient aujourd’hui une question de sécurité nationale est conditionné par plusieurs facteurs. Il s’agit d’abord de l’identification des avoirs détournés et leur localisation, le prononcé de jugements définitifs et le recours à la coopération internationale et aux accords bilatéraux et multilatéraux d’entraide judicaire. Si la récupération des avoirs volés relève en premier lieu de la responsabilité des États, elle nécessite la mobilisation de toutes les forces vives de la Nation. Ainsi en ce qui concerne l’identification et la localisation des avoirs volés, la Justice a certes adressé 53 commissions rogatoires et requêtes d’entraide dans de nombreux pays pour pouvoir identifier ces fonds et ces biens mobiliers et immobiliers. Mais au-delà, c’est la mobilisation de l’appareil diplomatique et des représentations consulaires qui peuvent être d’un apport significatif dans le processus. L’exemple de l’ambassade d’Algérie à Paris qui a pu identifier des biens appartenant à l’Algérie en France en ce sens est édifiant.

Mais d’autres institutions ont un rôle central à jouer dans cette opération. Il s’agit d’abord de la Banque d’Algérie. Bien que celle-ci ait failli dans sa mission de contrôle des flux de capitaux, elle qui a été soumise, de force, aux interférences politiques par les amendements apportés à la Loi sur la monnaie et le crédit, l’Autorité monétaire en tant qu’autorité de contrôle de toutes les institutions bancaires et financières de la place et des transactions courantes avec l’étranger peut identifier une partie du circuit par lequel ont transité les fonds détournés avant d’être placés à l’étranger. Elle peut aussi faciliter la mission de la Justice en mettant à disposition les mécanismes qui démontrent l’infraction et l’origine criminelle des fonds détournés. Cela a d’ailleurs été fait par la Banque centrale du Nigéria lorsque la justice nigériane avait engagé le processus de récupération des avoirs détournés par la « Kleptocratie ». Les Douanes algériennes peuvent en faire de même notamment en ce qui concerne la surfacturation des importations des marchandises, services et lignes de production dans des segments en surcapacités.  

Une instance dédiée

Au-delà,  c’est le traitement des dossiers en question par la Justice avec célérité qui est au centre du processus.  Car comme l’a souligné le Président Tebboune en ce qui concerne la récupération des avoirs,  il s’agit de traiter avec des États qui « traitent avec la loi et non avec les sentiments ou la volonté politique ». Il est vrai que l’Algérie s’est dotée d’un arsenal juridique en accord grâce à la Loi 05-01 sur la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme et la loi 06-01 sur la lutte contre la corruption. Elle a adhéré à la Convention des Nations unies sur la lutte contre la corruption, de même qu’elle a signé plusieurs accords bilatéraux et multilatéraux d’entraide judiciaire. Elle s’est également dotée d’un fonds dédié à la gestion des fonds récupérés afin de faciliter le processus de rapatriement des biens détournés. 

Cependant, les observateurs plaident pour des mesures plus fortes et proposent de s’inspirer des modèles utilisés par d’autres pays. Au-delà, de l’action diplomatique, ils mettent en avant la possibilité de recourir aux incitations économiques pour amener les pays qui abritent ces fonds à coopérer. Il s’agit également de la mise en place d’une structure dédiée à la récupération des fonds détournés. Une structure indépendante, qui bénéficie de la force, des prérogatives et de la protection que peut lui conférer la loi et qui pourra gérer cette question en exclusivité. 

Samira Ghrib

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