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Entretien avec le Pr. Ahmed Rouadjia, Directeur du Laboratoire d’étude historique,  sociologique et des changements sociaux et économiques : « Le front interne est inséparable du front « militaire » »

 Le sociologue Ahmed Rouadjia est Professeur des Universités, M’sila ( Algérie) et Directeur du laboratoire d’étude historique,  sociologique et des changements sociaux et économiques. Dans cet entretien il fait l’analyse des enjeux stratégiques et politiques qui se dressent aux pays sur fond des menaces émanant de la frontière ouest. Il affirme à ce propos que « la menace dont l’Algérie fait l’objet est bien réelle, et c’est la première fois depuis l’indépendance, que l’alliance entre la monarchie marocaine et l’entité sioniste se manifeste au grand jour ». Il revient sur la notion de la sécurité nationale en rappelant qu’ «on ne peut pas parler de stabilité en l’absence d’un ordre sécuritaire ». D’autres thèmes politiques sont abordés d’une manière approfondie dans le but d’apporter quelques éclairages sur les questions pendantes qui impactent l’État et la société.

Entretien réalisé par Rachid Nassouti

La Sentinelle : L’Algérie fait face à des menaces au niveau de ses frontières. Le front interne est-il la solution idoine pour faire barrage à ces menaces ?

Ahmed  Rouadjia : La menace dont l’Algérie fait l’objet est bien réelle, et c’est la première fois depuis l’indépendance, que l’alliance entre la monarchie marocaine et l’entité sioniste se manifeste au grand jour…Les visites effectuées ces derniers  mois  par certains hauts dirigeants politiques et militaires israéliens au Maroc, et  l’offre faite par cette monarchie  aux Sionistes d’établir une base militaire aux frontières,  témoigne bien de cette menace face à laquelle l’Algérie doit se préparer…

Pour parer à cette double menace, le front interne  entendu au sens populaire est inséparable du front politique saisi au sens « militaire ». Car les Sionistes et leurs valets marocains ne connaissent que le langage de la force, sans laquelle rien ne pourra freiner leurs ambitions dominatrices et expansionnistes. Pour que cette menace qui pèse sur l’Algérie soit écartée, il faudrait un resserrement des rangs patriotiques, resserrement  qui ne peut se réaliser qu’en  renforçant la confiance entre dirigeants et dirigés.

Ce qu’il faut savoir, c’est que ce pacte conclu entre la monarchie marocaine et l’entité sioniste  ne menace pas seulement les intérêts de l’Algérie, politique et populaire ; il comporte également un gros risque contre le Maroc dont le peuple ne partage point, dans sa grande majorité,  l’importation et l’implantation au cœur du Maghreb de ce sionisme politique, porteur de racisme et de volonté affiché de puissance et d’expansion.

Le premier déshonoré et bafoué dans sa dignité et dans ses sentiments nationalistes n’est pas la monarchie marocaine qui a perdu depuis belle lurette  son dernier lambeau de conscience et d’honneur, mais c’est  bel bien le peuple marocain…

Quel est le lien qui existe entre la sécurité nationale et la stabilité politique dans le cas algérien ?

On ne peut pas parler de stabilité en l’absence d’un ordre sécuritaire. La stabilité politique interne  se réalise par le consensus national, et donc par la représentation politique des différentes composantes de la société, en l’occurrence, la société algérienne. Malgré tous les défauts que l’on pourrait imputer à cette dernière, et malgré  les « vices » que celle-ci pourrait prêter à son Etat national, il n’en demeure pas moins que cette société algérienne est profondément attachée à son unité nationale et à sa dignité,  et ce sont ces traits qui lui sont intrinsèques  qui en font un peuple réactif, capable d’une union sacrée dans les moments du péril…

La conscience collective est le produit d’un processus historique de longue haleine. Peut-on parler d’un sursaut patriotique dans le contexte géopolitique que traverse le pays au plan régional et international ?

La conscience collective n’est pas l’apanage de la société algérienne. Toutes les sociétés humaines en  ont une… « Le sursaut patriotique » existe à l’état latent, mais il se manifestera sans doute avec plus de relief et d’agressivité en cas d’une menace extérieure…

En faisant installer les Sionistes à nos portes, la monarchie marocaine ne prépare-t-elle pas sa propre tombe ? ne risque-t-elle pas à court ou moyen terme de susciter une levée de boucliers interne ? Par son alliance irresponsable avec l’ennemi du Peuple palestinien, cette monarchie « modérée », mais corrompue jusqu’à la moelle, ne risque-t-elle pas de contribuer  à  transformer le Maghreb en une véritable poudrière et préparer le terrain aux interventions étrangères, comme cela s’est produit en Irak, en Libye  et en Syrie , trois civilisations détruites au grand bonheur des Sionistes et de leurs protecteurs américains ?

Avons-nous besoin d’une sociologie politique à même de remettre en cause les clichés qui ont transformé le mouvement social et historique en une espèce d’archétype ?

L’homme, disait Aristote, « est un animal politique », et la sociologie politique n’est rien d’autre qu’une science qui étudie le comportement  des membres de  la société et de l’Homme en tant qu’agent réfléchi et agissant pour la transformation du monde. Toutes les sociétés humaines ont « besoin d’une sociologie politique » fondée sur la quête du savoir et sur l’interprétation des lois qui régissent la société…

Quels sont les mécanismes susceptibles de permettre au pays d’aller vers un renouveau politique à la hauteur de sa vocation géostratégique ?

Une société dont les administrateurs et les administrés sont désaccordés ou dont la confiance mutuelle est faible ne pourra pas prétendre à  un« renouveau politique » susceptible de fonder une vision stratégique capable de relever les multiples défis auxquels elle pourra être confrontés…Le terme géostratégique est militaire et n’a de sens et d’efficacité que dans le cas où il est soutenu par un « renouveau » populaire…

Comment analysez-vous la démarche du président de la République, Abdelmadjid Tebboune qui a trait au rassemblement patriotique ?

La démarche du Président Tebboune n’a rien d’original ou d’innovateur, puisque  ce mot de « rassemblement patriotique » a été utilisé et chanté sur tous les toits de l’Algérie avant lui. Le RND et même le Vieux parti FLN, n’avaient-ils pas usé et abusé de cette phraséologie « patriotique » ? S’il n’est pas fondé sur une vision claire et consensuelle,  le terme de « rassemblement patriotique » demeure sinon creux, du moins fort ambigu…

La classe politique affiche une posture, pour le moins que l’on puisse dire, amorphe. Quelles sont les raisons objectives de cette situation du figisme qui frappe de plein fouet ladite classe ?

Il n’y a pas de « classe politique » en Algérie, mais seulement des hommes plus ou moins « politiques » placés par cooptation ou désignation à la tête des institutions et   d’expédier les affaires courantes de la Nation. L’existence d’une classe politique suppose une vision philosophique et politique d’une facture très élevée, de débats contradictoires portés par des hommes indépendants d’esprit et qui raisonnent comme personnages de l’Etat, et non comme personnages «  de clans » et de lobby… Le caractère « amorphe » dont vous parlez et qui a conduit à l’immobilisme politique de cette pseudo classe politique tient justement à son caractère hétéronome, à son manque total d’autonomie de réflexion et d’action….

Telle est le vrai visage de cette « classe politique » algérienne dont les membres apparaissent souvent sous un profil terne ou desséché..

R.N.

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