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Scandale de corruption au Parlement européen : Les aveux qui incriminent le Maroc

Les révélations concernant le scandale de corruption qui a éclaboussé la semaine dernière des membres du Parlement européen se poursuivent. La liste des eurodéputés accusés d’avoir été corrompus par le Maroc ou le Qatar en contrepartie de services rendus ne cesse de s’allonger.

À ce jour, cinq eurodéputés sont mis en examen et trois ont été écroués, dont la vice-présidente grecque, Eva Kaili. Inculpée pour appartenance à une organisation criminelle, corruption et blanchiment d’argent en bande organisée, Eva Kaili a fini par avouer aux enquêteurs belges en charge de l’affaire avoir demandé à son père de cacher de l’argent reçu illégalement et dénoncé deux de ses complices.

Les sommes d’argent en question ont été versées en contrepartie d’opérations de lobbying en faveur de Doha et de Rabat. «L’inculpée reconnaît avoir donné pour instruction à son père de dissimuler l’argent», écrit le juge d’instruction Claise dans le mandat d’arrêt décerné contre l’euro-députée grecque le 9 décembre et consulté par Le Soir et La Repubblica. «Elle déclare qu’elle connaissait par le passé l’activité de son époux (Francesco Giorgi, NDLR) avec Pier Antonio Panzeri (un ex-eurodéputé arrêté le même jour, NDLR) et que des valises de billets ont transité par son appartement». Eva Kaili «a tenté de prévenir Antonio Panzeri mais aussi deux eurodéputés cités dans la présente enquête», assure le mandat. Ce dernier, interpellé avec 700.000 euros en liquide dans son appartement, aurait reconnu partiellement également son implication dans cette affaire mais dénonce un eurodéputé belge : Marc Tarabella.

L’Italien Antonio Panzeri, eurodéputé jusqu’en 2019, a fondé peu après Flight Impunity, une ONG qui vise à « promouvoir la lutte contre l’impunité en cas de violations graves des droits de l’homme et de crimes contre l’humanité». En réalité, il ne s’agit que d’une façade pour dissimuler ses activités en faveur du Maroc. Antonio Panzeri est carrément le cheval de Troie du Maroc au sein du Parlement européen. Sur les 700 000 euros retrouvés à son domicile, une grande partie serait des pots-de-vin émanant du Makhzen, a avoué son assistant Francesco Giorgi devant la police belge. En outre, la femme de l’eurodéputé aurait aussi touché de l’argent grâce à un autre protagoniste, Abderrahim Atmoune, aujourd’hui ambassadeur du Maroc en Pologne.

Mais un autre homme est aussi dans le viseur des enquêteurs. Il s’agit de l’ancien eurodéputé français PS, Gilles Pargneaux. Président du groupe d’amitié UE-Maroc, il s’est affiché à de nombreuses reprises avec des cadeaux et a multiplié les voyages vers le Maroc. Selon une ancienne eurodéputée portugaise Ana Gomes, il se présentait comme le «conseiller de Sa Majesté le roi du Maroc» et a reçu de nombreuses distinctions notamment la médaille de Dakhla, par le Sahara occidental. Dans une interview donnée à un site d’information marocain en 2013, Gilles Pargneaux a déclaré que le Maroc devait avoir « une présence accrue au Parlement européen ». Une phrase qui résonne étonnamment au vu des révélations actuelles à Bruxelles.

Gilles Pargneaux a également quitté le Parlement en 2019 avant de fonder une ONG au Maroc, avec un homme qui lui avait remis une décoration dans le passé. Si cette structure dit avoir « pour vocation de renforcer et promouvoir un espace Europe-Méditerranée-Afrique cohérent », des accusations sont portées contre elle sur sa véritable fonction. L’ONG Western Sahara Resource Watch (WSRW), qui active à Bruxelles, parle notamment de « lobbying » pour qualifier les activités de l’ONG incriminée. Il travaille également avec un cabinet de lobbying à Bruxelles dont le principal client n’est autre que le Maroc.

Un réseau qui a noyauté le Parlement européen

L’enquête continue, mais Antonio Panzeri apparaît comme un personnage clé. Il a placé plusieurs de ses proches au Parlement, comme l’eurodéputée belge Marie Arena à la tête de la sous-commission des droits humains et un autre de ses amis à la tête de la délégation d’amitié avec le Maroc. Dans une note que s’est procurée la chaîne de télévision française BFMTV, il est question du Sahara occidental, territoire occupé illégalement par le Maroc. Un ambassadeur du Makhzen écrit alors : «Le meilleur moyen de gérer cette pression est de la canaliser par le biais d’Antonio Panzeri. Sur cette question, Antonio Panzeri a entamé un travail méthodique depuis son élection à la tête de la délégation du Maghreb.» Pendant des années, l’eurodéputé italien va défendre les intérêts marocains sur la scène européenne. L’ancienne eurodéputée portugaise Ana Gomes assure que «l’engagement d’Antonio Panzeri à défendre le point de vue du Maroc, à contrer la campagne pour les droits de l’Homme » l’a « fait suspecter qu’il y avait un lien très fort avec le Maroc ». Elle aurait tenté de dénoncer ses agissements à l’époque, mais fort de ses soutiens, l’eurodéputé n’était jamais inquiété.

Le Maroc semble avoir été jusque-là protégé. Il se peut que cela soit encore le cas. Jeudi, le Parlement européen a adopté une résolution condamnant le Qatar pour avoir soudoyé certains de ses membres, mais a rejeté un amendement prévoyant des mesures similaires contre le Maroc. Pourtant, l’enquête menée par le parquet fédéral belge et les témoignages recueillis par la presse ont établi clairement l’implication d’agents du royaume dans cette affaire de corruption à grande échelle. Ce que la presse européenne s’est précipitée d’appeler le « Qatargate » est en fait un « Moroccogate » tant ce sont les Marocains qui ont mis en place « le système » de corruption dans lequel les Qataris n’ont fait que s’engouffrer.

Khider Larbi

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