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Scandale de corruption au Parlement européen : L’enquête qui enfonce davantage le Makhzen

Les révélations se multiplient concernant le rôle actif du régime marocain dans les réseaux de corruption au sein du Parlement européen. Des révélations qui impliquent aujourd’hui de relais français.

Le Qatargate, l’enquête de la justice belge qui a mis au jour les réseaux de corruption présumée du Qatar dans le Parlement européen, a montré que ce pays n’est pas le principal concerné. Les réseaux en question servent surtout les intérêts du Maroc. Ce pays est clairement cité dans le mandat d’arrêt de celui qui apparaît au centre de l’opération d’influence, Pier Antonio Panzeri. Les noms de responsables et d’espions marocains reviennent tellement dans cette affaire qui entache la crédibilité du Parlement européen qu’il faut aujourd’hui parler de « Marocgate ».

L’ancien eurodéputé italien a siégé d’ailleurs à la tête du comité parlementaire UE-Maroc avant 2019. De part sa position, il avait un regard sur tout et pouvait donc renseigner les Marocains en temps réel.  Le « Marocgate» sur lequel enquête la justice belge éclaire la politique d’influence que déploie Rabat au cœur des institutions européennes. Le Makhzen a tissé une véritable toile d’araignée au cœur Parlement européen. Un réseau qui a fait l’objet d’une enquête approfondie du quotidien français « L’Humanité ».

Réalisée par Rosa Moussaoui, l’enquête en question confirme aussi que l’ex-eurodéputé italien Pier Antonio Panzeri a été «relié de longue date » aux services secrets marocains par l’entremise d’Abderrahim Atmoun, actuel ambassadeur du Maroc en Pologne, présenté dans les auditions des enquêteurs belges comme un «pourvoyeur de cadeaux aux allures de contreparties de l’alignement de certains élus sur les positions défendues par le Maroc, en particulier sur le dossier du Sahara occidental».  Abderrahim Atmoun a tellement « graissé des pattes » en France qu’il a même fini par être décoré par l’ex-président Nicolas Sarkozy. 

Il s’avère aussi que certains Français corrompus roulent « à fond » pour le Maroc. C’est ce que révèle une enquête intitulée « Marocgate. À Bruxelles, les amis français du roi du Maroc », publiée jeudi 5 janvier par « L’Humanité ». Les services secrets marocains ont tenté de soudoyer des hommes politiques français de tous les bords politiques. L’ancien eurodéputé écologiste français José Bové, aujourd’hui visé par une plainte en diffamation déposée en France par l’ancien ministre marocain de l’Agriculture, devenu chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, a confié à L’Humanité qu’il a été approché par les Marocains dans le but de le mettre à leur service. L’ex-eurodéputé raconte avoir décliné en 2015 des « propositions » – marocaines – pour « arranger les choses » alors qu’il s’opposait, comme rapporteur de la Commission du commerce extérieur, à l’accord UE-Maroc sur les mesures de libéralisation réciproque en matière de produits agricoles et de produits de la pêche.

Corruption et politique d’influence

José Bové évoque également l’existence au PE d’un « club très actif » d’élus toujours prêts à défendre avec ferveur les intérêts de Rabat. « La politique d’influence déployée par le royaume dans les enceintes européennes et l’empressement de certains relais français n’ont rien d’un mystère », souligne l’Humanité. Les éléments rapportés par L’Humanité corroborent d’autres révélations sur le grenouillage du Maroc au Parlement européen. Une note de la mission du Maroc auprès de l’Union européenne (UE) estampillée « confidentiel » et divulguée en 2014 avec des milliers d’autres documents par un hacker anonyme se faisant appeler Chris Coleman – des câbles dont Rabat n’a jamais contesté l’authenticité -, alertait sur le dépôt possible « d’amendements malveillants » par des « adversaires » avant l’adoption par le PE de rapports consacrés à l’éradication de la torture dans le monde et aux relations commerciales de l’UE avec les pays de la Méditerranée. Elle préconise ensuite « un suivi permanent des questions inhérentes à, notamment, l’accord agricole Maroc-UE ». 

Rosa Moussaoui a, entre autres, épinglé dans son enquête l’ex-eurodéputé socialiste français, Gilles Pargneaux, qui fut président du groupe d’amitié UE-Maroc, « visiteur assidu du royaume couvert de décorations par le Palais » et qui s’est reconverti dans le lobbying. Le journal français note que l’ancienne eurodéputée socialiste portugaise Ana Gomes n’hésite pas à dépeindre Pargneaux, sur son compte Twitter, comme « le lobbyiste du Maroc le plus effronté » qu’elle ait rencontré au Parlement européen, relevant qu’il se présentait aussi comme « conseiller » du roi. « Et de fait, ses fréquentes interventions dans la presse du Makhzen (l’appareil monarchique), ses prises de position à Bruxelles, son acrimonie affichée à l’endroit des opposants marocains en font un soutien sans faille du régime monarchique », analyse l’Humanité. « Inflexible détracteur du droit à l’autodétermination du peuple sahraoui, pourtant inscrit dans le droit international, l’eurodéputé fut l’un des plus ardents défenseurs de l’accord agricole et de l’accord de pêche annulés par la justice européenne », ajoute le média français.

A l’occasion, L’Humanité relate l’expulsion en 2018 d’une espionne présumée marocaine de Belgique, une certaine Kaoutar Fal, qui avait des liens avec Gilles Pargneaux. « La Sûreté de l’Etat (…) considère que l’intéressée constitue une menace pour la sécurité nationale, car elle a constaté que Madame Fal et ses organisations sont activement impliquées dans des activités de renseignement au profit du Maroc. Par ailleurs, Madame Fal est également en contact avec des personnes qui sont connues de la Sûreté de l’Etat pour leurs activités en faveur de services de renseignements étrangers offensifs ou pour des liens avec ceux-ci. La Sûreté de l’Etat estime également qu’il faut empêcher l’intéressée d’accéder au territoire et de circuler dans l’espace Schengen afin de mettre fin à ses activités et au danger qu’elle représente », selon le rapport de la police belge relatif à son arrestation.

Ingérence à grande échelle

De nombreux éléments attestent que l’ingérence du Maroc ne se limite pas au seul Parlement européen. Le Makhzen a mené des actions d’infiltration au sein de plusieurs autres institutions européennes en ayant recours à la corruption pour soudoyer des personnalités influentes. « D’autres institutions européennes auraient également fait l’objet d’ingérences par le biais d’un réseau de personnalités influentes, dont l’ex-eurodéputé Antonio Panzeri, l’ancienne vice-présidente du Parlement européen Eva Kaili et Francesco Giorgi, compagnon de cette dernière et assistant parlementaire – tous en état d’arrestation – qui ne représentent que quelques maillons », a indiqué il y a quelques jours le journal italien Corriere della Sera, citant des documents de l’enquête sur les pots-de-vin au Parlement européen.Selon le journal, le juge belge Michel Claise a expliqué que l’enquête, qui a débuté par une opération des services secrets belges et d’autres services de sécurité européens, concerne « des actions d’ingérence au sein des institutions de l’Union européenne » menées par le Maroc « par le biais de la corruption de personnes au sommet du monde institutionnel européen » en général.

Néanmoins, précise la même source, la justice se concentre principalement sur ce qui s’est passé au Parlement européen où « la politique du groupe Socialistes et Démocrates (S&D) aurait été influencée au nom du Maroc par une équipe de trois Italiens » dont les noms sont cités dans cet ordre : Pier Antonio Panzeri, Andrea Cozzolino et Francesco Giorgi. Le Maroc se serait tourné vers ce groupe parlementaire pour « cultiver ses multiples intérêts en le faisant guider dans ses opérations par Mohamed Belahrache, un officier de la DGED (Direction générale des études et de la documentation), les services secrets de Rabat ». Cet officier marocain a agi, comme signalé plus haut, par l’intermédiaire de l’ambassadeur du Maroc en Pologne, Abderrahim Atmoun, qui «travaillerait en étroite collaboration avec les services secrets marocains» et qui aurait rencontré plusieurs fois Panzeri et Cozzolino à Bruxelles et Varsovie.

Khider Larbi

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