ContributionDébats

Les principaux défis à l’horizon 2030

Pr Abderrahmane Mebtoul

Professeur des universités et expert international.

Au XXIème siècle, les batailles économiques se remportent grâce à la bonne gouvernance et la valorisation du savoir.

L’Algérie devra affronter un certain nombre de défis à l’horizon 2030. Cela pose la problématique fondamentale du rôle de l’Etatn de l’entreprise et son fondement le savoir au sein une économie ouverte. En cette fin de 2023 l’Algérie n’est ni dans une économie administrée, ni dans une véritable économie de marché concurrentielle, toujours en transition, expliquant les difficultés de régulation d’ensemble. Aussi, suite à mes précédentes contributions, cette présente contribution analyse le compromis des années 2024/2030 qui devra concilier l’impératif de productivité et la cohérence sociale, les principes d’une société ouverte et le devoir de solidarité, en un mot l’efficacité et l’équité. Car, il faut éviter toute ambiguïté. L’égalité n’est pas celle du modèle de l963-2023 mais recouvre la nécessité d’une transformation de l’Etat providence de l’Etat gestionnaire à l’Etat régulateur, par la formulation d’un nouveau contrat social, renvoyant à la nécessaire refondation de l’Etat.

Favoriser une croissance innovante au sein d’une économie ouverte

La nouvelle politique socio-économique devra reposer sur trois éléments fondamentaux complémentaires. Premièrement, elle doit tenir compte de l’adaptation aux mutations mondiales irréversibles. Les négociations futures avec l’organisation mondiale du commerce, les Accords pour une zone de libre échange avec l’Europe, la zone de libre échange avec l’Afrique, la création des zones franches ou tout autre partenariat avec les différents pays , doivent correspondre aux avantages comparatifs de l’Algérie. Je pense fermement que l’Algérie ne dispose pas d’autres alternatives que l’adaptation à la mondialisation dont les espaces euro-maghrébins, arabo- africains et euro -méditerranéens lesquels constituent son espace naturel. Prétendre que la mondialisation aliène le développement du pays et les libertés c’est ignorer une évidence: sans insertion dans l’économie mondiale, l’Algérie serait bien davantage ballottée par les vents des marchés avec le risque d’une marginalisation croissante. C’est que la nouvelle politique économique doit être marquée par l’adaptation à l’universalisation de l’économie de marché, le commerce international n’étant pas un jeu à sommes nulles. L’ouverture peut être douloureuse à court terme car elle impose des changements mais elle est bénéfique à moyen et long termes. Deuxièmement, il y a lieu de garantir les grands équilibres macro-économiques par une stabilité juridique et monétaire et par la réduction des déficits publics. Ces deux facteurs sont une condition nécessaire mais non suffisantes. Il est nécessaire d’éviter la hausse des prix induites par des structures de monopoles inchangées, (l’économie de marché ne signifiant pas hausse des prix, ce qui se passe actuellement), et donc aller vers les réformes institutionnelles et micro-économiques au sein d’un monde de plus en plus interdépendant. Cela passe par la réforme de l’Etat, de la justice, de l’école (la mère des réformes qui conditionne le tout) , de l’économie (surtout le système financier dans toutes ses composantes ‘ banques, fiscalité, domaine, douane lieu de distribution de la rente), le tout devant être harmonisé avec de nouveaux systèmes de protection sociale qui doivent s’adapter, aller en cohérence et en mouvement s’intégrant à une économie dominée par le consommateur mondial et arbitrée par les marchés financiers. La compétition dans une économie globale fait que chacun a le monde pour marché et tous les consommateurs pour clients. La traduction d’un monde ordonné autour de la production est largement dépassée avec l’unification des conditions de production dont la valeur ajoutée augmente mais dont les distances entre la production et la consommation diminuent avec la révolution dans le domaine du transport et des télécommunications. La libéralisation des mouvements de capitaux transgresse les frontières géographiques. Il y a lieu de revoir les concepts erronés de stratégie industrielle et d’imaginer une nouvelle politique de l’entreprise. Car à l’intérieur des entreprises se mettent en oeuvre de nouveaux modes d’organisation éloignés du taylorisme, des grosses sociétés avec leurs lourdeurs bureaucratiques, fondés sur le raccourcissement des chaînes hiérarchiques, sur l’amélioration de la qualification , sur l’implication des personnes, sur la décentralisation interne et la gestion prévisionnelle des compétences. Troisièmement, la mutation nécessaire des services publics marchands. La conception passée sur une superposition forte entre secteur public, entreprise publique, monopole, activité limitée du territoire national doit faire place à l’efficacité de gestion, à la concurrence des services collectifs. Si certaines infrastructures peuvent continuer à être gérées par des monopoles, les services de transport, eau, électricité, téléphone vocal doivent être libéralisés. Ainsi la plupart des pays émergents sans compter les pays développés ont des services collectifs caractérisés par de très nombreux acteurs privés et publics, puisque le commerce, l’agriculture et l’industrie sont presque totalement privatisés. Cependant, pour éviter les effets pervers du marché, l’action régulatrice de l’Etat est nécessaire pour assurer la cohésion sociale. Car, certes, la nouvelle politique socio- économique en Algérie devra être marquée en ce début du XXIème siècle par l’innovation, mais également éviter qu’une économie qui produit la richesse ne détruise les liens sociaux dans un univers où la plupart des structures d’encadrements, (familles, religion, syndicats) sont faibles.

Devoir d’équité à travers l’articulation des rôles Etat/marché

L’Algérie a vécu sur un modèle égalitaire simple, l’Etat propriétaire gestionnaire régentant l’ensemble de l’activité économique et sociale: réduction des inégalités, développement des prestations sociales pour tous, bien que certains contestent que ce modèle ait été équitable. Mais d’une manière générale, ce compromis est remis en cause avec l’évolution d’une société plus ouverte, plus individualiste exigeant des traitements plus personnalisés, avec comme toile de fond une croissance plus sélective et rendant urgent de mieux articuler les rôles respectifs et complémentaires de l’Etat et du marché. De ce fait cela remet en cause le traitement statistique global qui correspond de moins en moins à la réalité plus complexe, supposant d’ailleurs une structure indépendante du Gouvernement comme l’atteste actuellement l’effritement du système d’information. La société de marché incitant naturellement à plus d’efforts et de dynamisme et la solidarité dans la compétition implique de cesser d’exclure sous peine de devenir une société de décadence. Ainsi les problèmes doivent être absorbés différemment et cela passe par une réflexion collective sur la justice au sens sociétal. L’universalité de la justice n’existant pas, elle dépend du moment daté et du mouvement historique. Une société dynamique en forte croissance offre des espoirs individuels plus grands en tolérant certaines inégalités qu’une société dont l’économie en stagnation où l’avenir est incertain. Paradoxalement, en dynamique, certaines inégalités à court terme profitent aux plus défavorisés à moyen terme si l’on respecte les droits fondamentaux, bien qu’il faille éviter une domination excessive de l’argent sur la vie sociale. Dans un tel contexte il faut identifier lés inégalités qui doivent être combattues (inefficaces et injustes) et trouver le niveau acceptable d’inégalités nécessaires pour assurer le dynamisme de l’économie. Il ne sera plus question de la simple égalité d’accès à des prestations banalisées mais l’équité par la discrimination positive privilégiant le renforcement des relations professionnelles, la relance des négociations collectives branches par branches grâce à de nouvelles méthodes de travail fondées sur l’innovation continue. Il s’agira de favoriser de nouvelles structures sociales dynamiques pour impulser le changement et impulser celles traditionnelles par définition plus conservatrices. Parallèlement, une nouvelle politique axée sur une nouvelle politique de l’emploi et des salaires liés à l’éducation ; une nouvelle politique de la protection sociale et enfin une nouvelle politique fiscale qui est au coeur de l’équité sont nécessaires. En ce qui concerne l’emploi, la politique passée et actuelle a été de préférer la distribution de revenus (salaires versés sans contreparties productives) à l’emploi, c’est à dire contribuant implicitement à favoriser le chômage.. Aussi s’agit-il de modifier les pratiques collectives et réduire les à-coups sur l’emploi en accroissant la flexibilité des revenus et des temps de travail par une formation permanente pour permettre l’adaptation aux nouvelles techniques et organisations. Le rôle primordial pour l’emploi est d’introduire l’initiative économique de tout le monde et les capacités entrepreneuriales caractérisées par les prises de risques industriels et économiques. La solution la plus sure est de s’appuyer sur la qualification, la professionnalité des salariés allant de pair avec la spécialisation de l’économie. L’avenir est dans les gisements importants d’emplois sur les activités de services, des emplois de proximité ce qui impliquera le développement important dans les années à venir des services marchands rendus nécessaires par l’élévation du niveau de qualification. Pour cela une place importante doit être donnée à la négociation collective où l’Etat se confinera à son rôle en matière de minima de salaires et de grilles de classifications professionnelles et d’introduire des incitations comme celui d’abaisser les cotisations sur les bas salaires afin de diminuer les coûts relatifs des emplois non qualifiés. Cependant, en allégeant les charges, il faudra mesurer le prix de cet effort de redistribution par les actions ciblées de solidarité nationale en évitant de décourager les activités économiques. D’une manière générale il y a urgence d’un système d’éducation évolutif s’adaptant à la nouvelle conjoncture internationale par des réformes depuis le primaire jusqu’au supérieur en passant par la formation professionnelle par une formation permanente afin d’éviter des diplômés chômeurs avec la baisse du niveau, et donc améliorer la qualité : c’est que la majorité des salariés n’ont pas à ce jour bénéficier de formation professionnelle. Dans le cadre de l’amélioration de la qualité, il est souhaitable une décentralisation de la gestion de l’éducation d’une manière globale afin de faire jouer la concurrence régionale et son adaptation aux besoins de la société, avec quatre (04) grand pôles d’excellence et éviter ce mythe d’une université par wilaya.. Le deuxième axe est celui d’une nouvelle gestion de la sécurité sociale favorisant l’emploi et la cohésion sociale. Le financement de la protection sociale continue à être assis pour l’essentiel sur les cotisations sociales et absorber les gains de productivité au détriment de l’emploi et des salaires directs Car force est de reconnaître qu’avec la baisse de la salarisation due à l’accroissement du chômage, cela pèse sur le compte de la sécurité sociale et par la présence à la fois des dépenses de transfert et leur mode de financement, le déficit étant couvert par des prêts à moyen terme qui sont supportés sur les générations futures. Aussi la pérennité du système risque d’être menacé à moyen terme et nécessite de profondes réformes structurelles. Le long retard dans le paiement des retraites les années passés et peut être futures, en cas de chute brutale des cours du pétrole et si la panne dans le développement persiste, doit nous faire réfléchir par des mesures pérennes et non conjoncturelles. D’une manière générale la notion d’équité a changé et l’accès à l’emploi doit être une priorité car la protection sociale actuelle accroît le chômage. Donc ce n’est pas un changement d’assiette des prélèvements qui résoudra les problèmes mais dans la maîtrise de la dépense aussi bien la dépense globale que la dépense remboursée, car dans cette sphère spécifique, celui qui consomme n’est pas celui nécessairement celui qui finance, et cela n’est pas neutre pour l’activité productive. Aussi l’ensemble des dépenses de la sécurité sociale ne doit pas croître, en volume, plus vite que la croissance du produit intérieur brut (PIB). Cette rationalisation des dépenses ne saurait signifier restriction aveugle afin de permettre de couvrir les besoins des plus démunis, supposant des enquêtes ciblées sur le terrain. Enfin dernier axe une nouvelle politique fiscale le système des impôts car le système d’impôt est au cœur même de l’équité, mais l’impôt pouvant tuer l’impôt car il modifie l’allocation des ressources réalisée notamment l’offre de capital et de travail ainsi que la demande de biens et services. Un système fiscal efficace doit trouver le moyen de prélever des recettes en perturbant le moins possible les mécanismes qui conduisent à l’optimum économique et s’articuler autour des prélèvements faiblement progressifs sur des assiettes larges, ce qui n’altère pas leur caractère redistributif, le niveau de l’impôt direct dans une société mesurant le degré d’adhésion de la population.

De profonds bouleversements

Le monde devrait connaître un profond bouleversement entre 2024/20230 (transition numérique et énergétique), avec de nouvelles recompositions du pouvoir mondial aet l’émergence de nouvelles puissances économiques. Des stratégies d’adaptation sont nécessaires pour l’Algérie tant dans le domaine économique que militaire En cette fin d’année 2023, j’ai un grand espoir pour le redressement national, l’Algérie ayant toutes les potentialités étant un acteur stratégique au niveau de l’espace euro méditerranéen et africain. La réussite dépend avant tout des Algériens eux mêmes, car  il n’y a pas de citoyens sans projet social et il n’y a pas de projet politique et économique durable qui ne soit pas lié à un projet social, devant restaurer à l’État dans sa vocation naturelle, le soumettre au principe d’efficacité  la puissance publique dépendent trop des corporations rentières ce qui conduit à un éparpillement et un accroissement des dépenses de l’Etat qui ne sont pas proportionnelles à leur efficacité. D’où l’urgence du renouveau du service public et l’optimisation de l’effet de la dépense publique où l’handicap majeur de toute société est l’intervention autoritaire, vision du passé, des pouvoirs publics, ce qui ne saurait signifier la fin du rôle de l’Etat stratégique en économie de marché en tant que régulateur et protecteur des plus démunis à travers des réseaux décentralisés dont la société civile car trop d’ intervention de l’Etat central – en cas de malaise social- cristallise le mécontentement populaire sur le pouvoir d’Etat et aboutit à un affrontement direct entre la puissance publique et l’opinion sans qu’intervienne la moindre médiation. En fait, l’objectif stratégique est de redonner confiance à la population algérienne en instaurant un Etat de Droit, base du retour â la confiance passant par des actions concrètes de lutte contre la corruption, le favoritisme, le régionalisme, les relations de clientèles occultes qui remplacent les relations contractuelles, avec l’application de la règle de Peter qui fait que l’on gravite dans la hiérarchie en fonction de sa servitude et de son degré d’incompétence. Aussi, il s’agit de mettre en place des mécanismes transparents dans le domaine politique, économique et social afin de lier l’efficacité économique, loin de tout monopole public ou privé, et l’équité pour garantir la cohésion sociale. Bonne année Algérie 2024.

A.M.

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