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Faire face aux tensions budgétaires et aux nouvelles mutations économiques mondiales

Par Abderrahmane Mebtoul

Professeur des universités, expert international, ancien directeur d’études aux ministères de l’Industrie et de l’Énergie et ancien directeur général des études économiques et haut magistrat à la Cour des comptes. Il a été président du Conseil national des privatisations 1996/1999.

Cette présente contribution entre dans le cadre de l’enrichissement du débat sur la Déclaration de politique générale du gouvernement présentée devant le parlement. Une contribution axée sur une stratégie d’adaptation face aux nouvelles mutations mondiales, un contexte dans lequel l’Algérie s’illustre par une relative stabilité financière grâce aux cours élevéx des hydrocarbures qui représentent avec les dérivées (comptabilisées à 67% dans la rubrique hors hydrocarbures en 2022 selon les statistiques douanières), 98% des recettes en devises, un endettement extérieur faible avec moins de 3 milliards de dollars, un endettement public global en croissance d’environ 60% du PIB , des réserves de change prévisionnelles d’environ 73 milliards de dollars fin 2023 et 82/83 milliards de dollars en tenant compte des 173 tonnes d’or, dont l’once connaît d’importantes fluctuations. Les importations de biens où bon nombre de produits biens finis et biens intermédiaires connaissent des tensions, accroissant le processus inflationniste , sont estimées pour 2023 à 41,5 milliards de dollars non compris les services qui ont fluctué entre 2021/2022 de 6/7 milliards de dollars/an, nous approchant de 50 milliards de dollars. À une moyenne de 80/85 dollars le baril et 11/12 dollars le MBTU du gaz, les recettes d’hydrocarbures devraient fluctuer entre 47/53 milliards de dollars fin 2023 contre 60 en 2022. Sur le plan macro- économique ,le gouvernement prévoit une croissance de plus de 5% en 2023, et pour le FMI «le PIB réel devra croître de 2,3% en 2023, emmené par sa composante hors hydrocarbures (+3,1%) et des hydrocarbures (+0,5%) et la croissance du PIB se modérerait à 1,8% en 2024, avec une inflation relativement élevée plus de 9% en 2022, 7% en 2023 pour le gouvernement. Avec la forte pression démographique devant créer 350.000/400.000 emplois nouveaux qui s’ajoute au taux de chômage estimé à 14/15% y compris les emplois rente et les sureffectifs dans les administrations et entreprise publiques la question de l’emploi reste un défi. Car l’emploi ne se crée pas décret et dépend de la croissance des entreprises publiques et privées dont le taux d’intégration en Algérie en 2022 ne dépasse pas 15/20% , le taux d’emploi via le taux de chômage, étant fonction du taux de croissance et des structures des taux de productivité. D’où les nombreux défis qui attendent l’Algérie entre 2024 et 2030 face à l’accroissement des besoins internes ( 50 millions d’habitants horizon 2030) et des nouvelles mutations mondiales

Une nouvelle organisation

Le monde change. Nous ne sommes plus à l’ère où la richesse d’une Nation s’identifie aux grandes firmes des Nations, les grandes firmes ayant été calquées sur l’organisation militaire et ayant été décrites dans les mêmes termes : chaîne de commandement, classification des emplois, portée du contrôle avec leurs chefs, procédures opératoires et standards pour guider tous les dossiers. Tous les emplois étaient définis à l’avance par des règles et des responsabilités pré-établies. Comme dans la hiérarchie militaire les organigrammes déterminent les hiérarchies internes et une grande importance était accordée à la permanence du contrôle, la discipline et l’obéissance. Cette rigueur était indispensable afin de mettre en œuvre les plans avec exactitude pour bénéficier des économies d’échelle dans la production de masse et pour assurer un contrôle strict des prix sur le marché. Comme dans le fonctionnement de l’armée, la planification stratégique demandait une décision sur l’endroit où vous voulez aller, un suivi par un plan pour mobiliser les ressources et les troupes pour y arriver. A l’ère mécanique totalement dépassée, la production était guidée par des objectifs préétablis et les ventes par des quotas déterminés à l’avance. Les innovations n’étaient pas introduites par petits progrès, mais par des sauts technologiques du fait de la rigidité de l’organisation. Au sommet de vastes bureaucraties occupaient le rectangle de l’organigramme, au milieu des cadres moyens et en bas les ouvriers. L’enseignement, du primaire au supérieur en passant par le secondaire, n’était que le reflet de ce processus, les ordres étant transmis par la hiérarchie, les écoles et universités de grandes tailles pour favoriser également les économies d’échelle. Actuellement une nouvelle organisation est en train de s’opérer montrant les limites de l’ancienne organisation avec l’émergence d’une dynamique nouvelle des secteurs afin de s’adapter à la nouvelle configuration mondiale. Nous assistons au passage successif de l’organisation dite tayloriste marquée par une intégration poussée, à l’organisation divisionnelle, puis matricielle qui sont des organisations intermédiaires et enfin à l’organisation récente en réseaux où la firme concentre son management stratégique sur trois segments : la recherche développement (cœur de la valeur ajoutée), le marketing et la communication et sous traite l’ensemble des autres composants. Et ce avec des organisations de plus en plus oligopolistiques, quelques firmes contrôlant la production, la finance et la commercialisation tissant des réseaux comme une toile d’araignée. Les firmes ne sont plus nationales, même celles dites petites et moyennes entreprises reliées par des réseaux de sous traitants aux grandes. Les firmes prospères sont passées de la production de masse à la production personnalisée (Pr Reich ex secrétaire d’Etat US). Ainsi, les grandes firmes n’exportent plus seulement leurs produits mais leur méthode de marketing, leur savoir-faire sous formes d’usines, de points de vente et de publicité. Parallèlement à mesure de l’insertion dans la division internationale du travail, la manipulation de symboles dans les domaines juridiques et financiers s’accroît proportionnellement à cette production personnalisée. Indépendamment du classement officiel de l’emploi, la position compétitive réelle dans l’économie mondiale dépend de la fonction que l’on exerce. Au fur et à mesure que les coûts de transport baissent, les produits standards et de l’information qui les concernent, la marge de profit sur la production se rétrécit en raison de l’absence de barrières à l’entrée. En ce XXIe siècle, la production standardisée se dirige inéluctablement là où le travail, le moins cher, le plus accessible et surtout bien formé.

La qualification devient un facteur déterminant. L’éclatement des vieilles bureaucraties industrielles en réseaux mondiaux leur a fait perdre leur pouvoir de négociation expliquant également la crise de l’Etat providence Ce qui explique que certains pays du Tiers Monde qui tirent la locomotive de l’économie mondiale se spécialisent de plus en plus dans ces segments nouveaux, préfigurant horizon 2030 de profonds bouleversements géostratégiques. Il s’ensuivra inévitablement une recomposition du pouvoir économique mondial avec la percée de la Chine, de l’Inde, du Brésil, de la Russie et de certains pays émergents expliquant le passage d’ailleurs du G8 au 20 dans les grandes réunions économiques internationales. ( débat à Radio France Internationale RFI, le 12 novembre 2012, Paris, que j’ai tenu avec le Pr Antoine HALFF de Harvard, économiste en chef du gouvernement Barak Obama et qui était directeur de la prospective à l’AIE sue les nouvelles mutations mondiales ) Les emplois dans la production courante tendent à disparaître comme les agents de maîtrise et d’encadrement impliquant une mobilité des travailleurs, la généralisation de l’emploi temporaire, et donc une flexibilité permanente du marché du travail avec des recyclages de formation permanents étant appelés à l’avenir à changer plusieurs fois d’emplois dans notre vie. Ainsi, apparaissent en force d’autres emplois dont la percée des producteurs de symboles dont la valeur conceptuelle est plus élevée par rapport à la valeur ajoutée tirée des économies d’échelle classiques, remettant en cause les anciennes théories et politiques économiques héritées de l’époque de l’ère mécanique comme l’ancienne politique des industries industrialisantes calquée sur le modèle de l’ancien empire soviétique alors que le XXIe siècle est caractérisée par la dynamisme des grandes firmes mais surtout les PMI/PME consacrant un budget à la recherche développement, reliés en réseaux à ces grandes firmes. Les expériences allemandes et japonaises, chacune tenant compte de son anthropologie culturelle, est intéressante à étudier, se fondant sur un partenariat, grandes firmes/PME/PME. Avec la prédominance des services qui ont un caractère de plus en plus marchand contribuant à l’accroissement de la valeur ajoutée, la firme se transforme en réseau mondial, étant impossible de distinguer les individus concernés par leurs activités, qui deviennent un groupe diffus, répartis dans ce village mondial, dominé par des réseaux croisés consommateurs/producteurs, transformant le système d’organisation à tous les niveaux, politique, économique et social.

Les 5 axes de la nouvelle politique économique

La nouvelle politique économique en Algérie, doit s’articuler autour de cinq axes directeurs : Premièrement, la forte croissance peut revenir. Mais elle suppose la conjugaison de différents facteurs : une population active dynamique, un savoir, le goût du risque et des innovations technologiques sans cesse actualisés, le combat contre toute forme de monopole néfaste, une concurrence efficace, un système financier rénové capable d’attirer du capital et une ouverture à l’étranger. Ces réformes passent fondamentalement par une démocratie vivante, une stabilité des règles juridiques et l’équité, les politiques parleront de justice sociale. La conduite d’ensemble de ces réformes ne peut ni être déléguée à tel ou tel ministre ni mise dans les mains de telle ou telle administration. Elle ne pourra être conduite que si, au plus haut niveau de l’État, une volonté politique forte les conduit et convainc les Algériens de leur importance d’où avec l’ère d’internet une communication active transparente permanente. Ensuite, chaque ministre devra recevoir une « feuille de route » personnelle complétant sa lettre de mission et reprenant l’ensemble des décisions qui relèvent de sa compétence. Au regard de l’importance des mesures à lancer et de l’urgence de la situation, le gouvernement devra choisir le mode de mise en œuvre le plus adapté à chaque décision : l’accélération de projets et d’initiatives existantes, le vote d’une loi accompagnée, dès sa présentation au Parlement, des décrets d’application nécessaires à sa mise en œuvre et pour les urgences seulement des décisions par ordonnance pourront être utilisées. Deuxièmement, les actions coordonnées et synchronisées dans le temps exigent le courage de réformer vite et massivement, non des replâtrages conjoncturelles mais de profondes réformes structurelles à tous les niveaux en ayant une vision stratégique pour le moyen et le long terme, devant donc réhabiliter la planification et le management stratégique L’Algérie peut y parvenir dans un délai raisonnable. Pour cela, elle doit réapprendre à envisager son avenir avec confiance, libérer l’initiative, la concurrence et l’innovation car le principal défi du XXIème pour l’Algérie sera la maîtrise du temps. Le monde ne nous attend pas et toute Nation qui n’avance pas recule forcément. Retarder les réformes ne peut que conduire à l’appauvrissement , une perte de confiance en l’avenir puisqu’ avec l’épuisement de la rente des hydrocarbures, l’Algérie n’aura plus les moyens de préparer ces réformes et vivra sous l’emprise de la peur, voyant partout des menaces où les autres voient des chances. Cette croissance exige l’engagement de tous, et pas seulement celui de l’État en organisant les solidarités devant concilier efficacité économique et équité par une participation citoyenne et un dialogue productif permanent. Troisièmement, l’Algérie a vécu longtemps sur l’illusion de la rente éternelle. La majorité des Algériens dont le revenu est fonction à plus de 70% de la rente des hydrocarbures doivent savoir que l’avenir de l’emploi et de leur pouvoir d’achat n’est plus dans la fonction publique, et que celui des entreprises n’est plus dans les subventions à répétition. L’essentiel de l’action est entre les mains des Algériens, qui devront vouloir le changement et partager une envie d’avenir, d’apprendre davantage, de s’adapter, de travailler plus et mieux, de créer, de partager, d’oser. La nature du pouvoir doit également changer supposant une refonte progressive de l’Etat par une réelle décentralisation autour de grands pôles économiques régionaux, impliquant qu’il passe de l’Etat gestionnaire à l’Etat régulateur, conciliant les coûs sociaux et les coûts privés, étant le cœur de la conscience collective, par une gestion plus saine de ses différentes structures . Quatrièmement, pour s’inscrire dans la croissance mondiale, l’Algérie doit d’abord mettre en place une véritable économie de la connaissance, développant le savoir de tous, de l’informatique au travail en équipe, de l’arabe, du français, du chinois à l’anglais, du primaire au supérieur, de la crèche à la recherche. Il faut éviter une erreur fondamentale dans la politique éducative d’un pays, vision de court terme en privilégiant uniquement la recherche appliquée. La recherche théorique est le fondement de l’innovation, l’application pratique au vu des expériences pouvant demander plusieurs années. Par ailleurs, figer un élève ou un étudiant uniquement sur la pratique peut conduire à terme à en faire un chômeur potentiel car en ce XXIème siècle c’est fini les emplois à vie, et avoir une solide base théorique permet de s’adapter grâce par une nouvelle formation pour les métiers de demain qui ne seront plus ceux d’aujourd’hui , devant favoriser l’épanouissement de nouveaux secteurs clés, dont : le numérique, la santé, la biotechnologie, les industries de l’environnement, les services à la personne avec le vieillissement de la population. Cinquièmement, toute Nation ne peut distribuer plus que ce qu’elle produit annuellement, si elle veut éviter la dérive sociale. Il s’agira de concilier l’efficacité économique et la nécessaire cohésion sociale, en intégrant la sphère informelle plus de 30/35% du PIB que l’on ne combat pas par des mesures bureaucratiques administratives ayant comme effet son extension .

En conclusion, l’Algérie est un acteur stratégique dans le domaine du Mix énergétique( Voir quotidien Pr A. Mebtoul- revue mensuelle Politis El Moudjahid de septembre 2023 ? L4Alg2rie et les enjeux géostratégiques mondiaux , le quotidien 07 octobre 2023 et au niveau international https://www.africapresse.paris/ 08 octobre 2023 et diffusé sur les réseaux : Pr A. Mebtoul : « Gaz, hydrogène vert, énergies renouvelables : les trois axes de la coopération énergétique Algérie-Europe » https://swll.to/tq3zbBJ @DjuliusD @Emdupuy @CCFAParis @diploAfrique @d_brunin @zinsouofficiel @CYoka_AFD @expertisefrance @PatronatsFranco @bruno_fuchs). Dans d’autres filières, elle dispose de tous les atouts pour créer la richesse hors économie de la rente devant s’adapter au nouveau monde avec la transition numérique (lutter contre les cyberattaques) et énergétique à l’horizon 2030. L’entrave principale au développement provient de l’entropie qu’il s‘agit de dépasser impérativement, renvoyant pas seulement aux facteurs économiques mais également sociaux et politiques dont une autre gouvernance et la valorisation du savoir pilier du développement du XXIème siècle.

A.M.

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