La Cour des comptes met en lumière le soutien fort de l’État: Ce empêche la filière lait de décoller
Le rapport annuel de la Cour des comptes a mis en lumière le soutien substantiel de l’État à la filière lait. Les rédacteurs du rapport ont souligné que les interventions fortes de l’État ont, certes, permis à la filière lait d’accroitre, de manière notable, la production locale du lait cru collecté. Néanmoins, cette performance n’a pas été suffisante pour amorcer le développement nécessaire du marché laitier qui reste largement dépendant des importations de la poudre de lait.
La filière lait a bénéficié d’un soutien financier significatif et diversifié de l’État visant à la rendre plus attractive aux investisseurs privés, se traduisant entre autres par des prêts bonifiés, une fiscalité avantageuse, un soutien aux équipements et aux cultures fourragères et à la reproduction du bovin laitier, en plus des aides et primes financières aux éleveurs, destinées à améliorer la production laitière. C’est ce qu’a indiqué un rapport de la Cour des comptes pour l’année 2024, publié hier sur son portail Internet dont La Sentinelle détient une copie. Parallèlement, le Trésor public supporte le différentiel entre le prix d’achat de la poudre de lait importée et son prix de rétrocession aux laiteries, en soutien à la consommation, note les rédacteurs de ce rapport.
Ces derniers ont relevé que ces interventions fortes de l’État ont, certes, permis à la filière lait d’accroitre, de manière notable, la production locale du lait cru collecté, néanmoins, cette performance n’a pas été suffisante pour amorcer le développement nécessaire du marché laitier qui reste largement dépendant des importations de la poudre de lait.
Et pour cause, les investigations de la Cour des comptes font ressortir que les actions entreprises en faveur de la filière lait n’ont pas été accompagnées d’une mise en place des outils de pilotage et de mécanismes de contrôle interne permettant d’assurer un suivi et une évaluation de leur mise en œuvre, d’en mesurer les effets et d’apporter les ajustements nécessaires, ajoute-t-ils. Plus explicite, ils ont affirmé que le marché national du lait, qui dans une large proportion n’est pas contrôlé, manque d’une veille au niveau de l’administration centrale au sujet des prix du lait aussi bien à la production qu’à la consommation, estimant au passage que le processus d’approvisionnement, de collecte, de traitement et distribution du lait requiert beaucoup d’améliorations.
Absence de contrôle efficace
Continuant dans le même sens, ils ont soutenu que l’approvisionnement de l’industrie laitière en lait cru local souffre de plusieurs insuffisances en lien avec les performances technico-économiques des exploitations d’élevage bovin laitier et la rémunération de l’activité y afférente, relevant que des insuffisances caractérisent également la collecte du lait cru local qui reste dominée par les circuits informels. S’agissant du traitement du lait, à partir de la poudre de lait importée, et sa distribution sous forme de lait pasteurisé conditionné en sachet, la Cour des comptes a révélé que ces opérations sont menées en l’absence d’un contrôle interne efficace, d’où l’augmentation continue et démesurée de la demande sur la poudre de lait, en plus du gaspillage et du détournement du lait de sa destination. Par ailleurs, ils ont souligné que la consommation de lait par habitant s’est accrue d’une façon significative, passant de 35 litres / an en 1968 à 140 litres /an en 2023, précisant que la filière lait dont les performances ont été nettement améliorées ces dernières années, reste dépendante de l’envolée des prix de la poudre de lait à l’international. Ainsi, entre 2009 et 2023, la filière lait a coûté plus de 20 milliards de dollars à l’importation (poudre de lait + lait infantile) et près de 800 milliards de DA de soutien financier direct de l’Etat.
Dépendance envers les importations
Cependant, les résultats réalisés restent mitigés parce que le marché laitier (matière première) est dépendant du marché international à hauteur de 60% et sans l’informel, il est dépendant à 80% et si on ajoute les autres intrants importés, ce taux atteindra 85%, révèle ce rapport. Selon la même source, le contrôle que la politique publique laitière mise en œuvre, notamment, depuis 2007, s’est distinguée par des contre-performances induites par des stratégies mal orientées, des actions insuffisamment maturées et coûteuses et des dispositifs de contrôle interne inefficaces, ajoutant que les actions adoptées s’apparentaient plus à des politiques alimentaires visant à «nourrir la population » qu’à des politiques de développement d’un secteur porteur, induisant une totale déconnexion entre la production et la consommation.
D’autres causes sont également à l’origine des contre-performances de la filière lait, particulièrement l’insuffisance de la compétitivité de la filière due à la faiblesse des performances technico-économiques, notamment le rendement moyen de l’élevage du bovin laitier, en dépit du volume des importations de génisses (avec un fort potentiel génétique), la forte concurrence induite par une protection du marché de la viande rouge qui permet à l’éleveur de réaliser sur le marché de la viande une valeur ajoutée deux fois et demie (2,5) supérieure à celle qu’il peut réaliser sur le marché du lait, la prédominance du secteur informel (près de 60% de la production du lait cru local) qui ne bénéficie pas du soutien de l’Etat et qui échappe aux divers contrôles, notamment la qualité du lait cru et l’importance du soutien financier à la consommation du lait importé (45 DA/litre en 2023) est contrasté par la faiblesse du soutien à la production du lait local (entre 19 et 25 DA / litre).
Ce rapport a cité, également, la stagnation du prix administré du sachet de lait pasteurisé, à 25 DA le litre, depuis 2001 et des valeurs du soutien financier accordé à la production du lait local depuis 2009. Ceci a été induit par l’absence d’une veille sur le marché national du lait, au niveau de l’administration centrale, à même d’assoir une régulation dynamique et permanente du marché, qui touche aussi bien les stocks physiques que les prix, les coûts et les marges des acteurs.
Revoir le système des prix
Ceci dit, la Cour des comptes a recommandé notamment de réhabiliter l’autorité administrative dans l’exercice de ses missions de pilotage et de veille en vue d’un meilleur accompagnement du développement de la filière lait, de revoir le système des prix dans la perspective de garantir des revenus rémunérateurs aux éleveurs et de préserver le pouvoir d’achat des consommateurs, tout en assurant la soutenabilité budgétaire de l’action publique. Il y a lieu de noter que l’enquête menée par la Cour des comptes, en collaboration avec les services agricoles locaux, a touché plus de 1 000 élevages, englobant 20 000 vaches laitières, sélectionnés parmi 16 000 élevages qui ont approvisionné les laiteries toute l’année avec une production qui dépasse 70% du total livré aux laiteries en 2023. Sachant que les élevages sélectionnés aléatoirement se répartissent sur 43 catégories d’élevage et couvrent un ensemble de 43 wilayas (est, ouest, centre et sud) bénéficiant du soutien financier de l’Etat à la production du lait cru local. Les travaux sur le terrain ont été menés par 365 subdivisions agricoles.
Hakim Aomar