Clôture du Forum international sur « Le Cinéma et la Mémoire »: De l’urgence de briser le monopole mondial sur le cinéma
Le Forum international sur « Le Cinéma et la Mémoire » s’est achevé hier après trois jours de débats et de réflexion profonde sur le rôle du cinéma comme instrument de préservation mémorielle et de résistance culturelle, s’inscrivant dans le contexte commémoratif du 70e anniversaire du déclenchement de la Révolution algérienne.
Organisée sous le haut patronage du président Abdelmadjid Tebboune par le ministère de la Culture et des Arts, cette rencontre internationale a rassemblé des chercheurs, historiens et professionnels du cinéma venus de 16 pays différents, illustrant la dimension universelle des enjeux soulevés. Les interventions ont permis de mettre en lumière la dimension profondément politique du septième art. Abdulkareem Abbood Oudah Al Kenani, chercheur irakien, a particulièrement marqué l’assemblée en soulignant que « le cinéma algérien, à travers son œuvre créative révolutionnaire, a fait revivre la mémoire et l’histoire de la lutte révolutionnaire contre le colonialisme français par des approches esthétiques et artistiques ». Sa déclaration la plus saisissante reste sans conteste : « ce qui distingue particulièrement le cinéma de résistance en Algérie, c’est que la plupart des cinéastes étaient également des moudjahidine, portant une caméra d’une main et une arme de l’autre pour immortaliser les moments historiques ». Cette dimension dual du cinéaste-résistant a été confirmée et approfondie par d’autres interventions. Samia Azzi a notamment révélé les mécanismes de la guerre psychologique menée par le colonisateur, expliquant comment « le colonisateur français avait instrumentalisé le cinéma pour faire la propagande contre la Révolution ». En réponse, « la direction de la Révolution avait créé la première unité cinématographique du FLN », transformant ainsi le média en instrument de contre-propagande et de réaffirmation identitaire.
Les perspectives internationales ont été particulièrement riches. Les chercheurs italiens Luca Peretti et Andrea Brazzoduro ont mis en lumière le rôle de cinéastes comme Gillo Pontecorvo et Pier Paulo Pasolini, qui ont contribué à l’internationalisation de la cause algérienne. Ils ont souligné comment certains réalisateurs européens ont utilisé le cinéma comme outil de solidarité avec les mouvements de libération. Le comité scientifique du forum a formulé des recommandations ambitieuses et stratégiques. Il a appelé à « maintenir la continuité de cette manifestation en élargissant les domaines de débat », avec comme perspective la prochaine édition centrée sur « le cinéma et la diplomatie culturelle : le rôle du soft power dans les transformations actuelles ». Un point fort de ces recommandations réside dans la volonté de « s’ouvrir sur les expériences du cinéma de résistance dans d’autres pays », avec un focus particulier sur le cinéma palestinien, pressenti comme invité d’honneur de la prochaine édition.Les recommandations ont également une dimension géopolitique et culturelle affirmée. Le forum a préconisé « le renforcement du cinéma de résistance dans divers domaines » et « l’encouragement de groupements cinématographiques pour briser le monopole mondial du cinéma par des sociétés cinématographiques occidentales qui promeuvent des contenus coloniaux ». L’objectif explicite est de « créer une immunité culturelle nationale face aux contraintes du cinéma mondial ».
Sur le plan technologique, les participants ont appelé à « la création d’une banque numérique de la production audiovisuelle et cinématographique algérienne liée à la mémoire », reconnaissance de l’importance cruciale de la préservation numérique pour les générations futures. Kamel Ben Younes de Tunisie a particulièrement insisté sur « la nécessité de suivre l’évolution technologique dans le domaine cinématographique pour valoriser et préserver la mémoire ». Le parcours de cinéastes comme le Mauritanien Med Hondo a également été mis à l’honneur, illustrant la dimension continentale de ce cinéma de résistance. Ahmed Mouloud El Hilal a souligné comment ses films étaient « empreints des luttes pour la libération en Afrique ». La clôture, présidée par le ministre de la Culture et des Arts Zouhir Ballalou, a symboliquement confirmé l’importance nationale accordée à cet événement. Plus qu’une simple commémoration, ce forum s’est affirmé comme un acte de réappropriation culturelle, historique et politique, réaffirmant le rôle du cinéma comme mémoire vivante et active des peuples.
Mohand Seghir