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Driencourt ou l’exercice des pulsions au détriment de la raison


Par Abdelaziz Rahabi
Ancien Ambassadeur

La dernière tribune  de l’ambassadeur  Xavier Driencourt  se distingue des  précédentes par la réactivation du discours sur la supposée menace que représente l’Algérie  et les Algériens pour la stabilité de l’Occident  et la  prédiction d’un scenario catastrophique pour  la région. Jusque là ses déclarations  étaient en rapport avec  la  conjoncture électorale française et versaient dans l’entreprise de production de la peur  de l’autre et essentiellement de l’Algérien. Il vient de franchir le pas qui l’identifie clairement au discours de l’ extrême droite française .

Il est très peu courant qu’un diplomate de carrière alimente  des débats de nature à le mettre en porte à faux avec les intérêts diplomatiques de son pays. La diplomatie réclame, avec plus ou moins de bonheur,   de la  classe politique et des élites de  veiller à la préservation du consensus autour des  politiques extérieures. Il est vrai que  beaucoup cèdent  à la tentation de la politique interne  en France pour citer, chaque fois, l’Algérie- parfois même  de façon obsessionnelle – en raison évidemment du poids de l’histoire commune  mais également parce que l’évocation de l’Algérie ne laisse personne indifférent. Cela peut faire voter, peut faire  sortir de l’anonymat  ou encore  faire vendre et à ce titre l’on ne peut rendre l’Algérie responsable de  sa position  centrale  dans le débat français. Cela n’apporte rien à l’Algérie ni aux Algériens, au contraire.

Il est admis dans la tradition diplomatique que l’on postule pour une région ou un pays pour lequel on éprouve pour le moins de la sympathie  ou de la curiosité ou pour diverses  louables raisons. L’Ambassadeur Driencourt a démenti cette règle car il  n’aime ni l’Algérie ni les Algériens à l’exception de quelques courtisans. Il n’est pas étonnant à ce titre que son denier séjour ait été marqué par des tensions diplomatiques et une obstination  à mettre la question des visas au dessus de tout autre dossier au détriment de la  projection stratégique que réclame la densité de nos relations.

Le diplomate français qui a le plus séjourné  à Alger, a délibérément choisi de participer  dans un premier stade à une opération  médiatique  d’explication de l ‘Algérie dont la complexité  réelle n’a d’égal que sa diversité et son immensité.  Il a  quant à lui étalé un listing détaillé des questions et griefs à caractère  consulaire  contre le gouvernement algérien  notamment les Accords de 1968 présentés comme la future   »bombe atomique » dans les relations bilatérales. Il est regrettable  de le voir faire une telle  erreur d’appréciation car il a  perçu le peu d’empressement  des Algériens sur cette question  comme un  signe d’attachement à ces Accords  alors que dans la réalité, l’Algérie n’avait  plus aucun intérêt dans  des accords qui ne garantissent plus  de statut privilégié à ses ressortissants  car ils sont  alignés sur le droit commun et de plus en sur les normes communautaires européennes applicables aux autres communautés. Toute l’énergie du diplomate  a porté sur une question qui n’en demandait pas tant.

Cette tribune est  dans le prolongement attendu de ses  innombrables déclarations sur les questions migratoires. Son auteur a opportunément pris prétexte de  la gravité de l’actualité internationale en portant  son discours  sur les risques collatéraux d’un scénario catastrophe sur l’avenir de l’Algérie. Il ne s’agit plus de faire peur uniquement aux électeurs français  mais également  aux institutions et aux opinions publiques européennes  en présentant  l’Algérie comme une grave menace  pour la paix et la stabilité de l’Europe.  Cette démarche emprunte à une pratique connue des  diplomates algériens  car c’est une parfaite reproduction des analyses de cercles plus au moins officieux  des années quatre vingt dix qui prédisaient avec une  insistance répétée un effondrement  de l’Algérie.

L’Ambassadeur fait à mon sens et encore une fois de graves erreurs d’évaluation qui renseignent plus sur la rigidité de ses  sensibilités  que sur ses capacités intrinsèques  à comprendre l’Algérie.  En effet, quelque soient les critiques   que nous pouvons faire  à la gouvernance  de notre système politique nous sommes nous les algériens les seuls autorisés à le faire parce que la démocratisation du pays est avant tout une demande interne et que nous avons la capacité d’incarner nos intérêts  tant à  l’intérieur du pays qu’à l’étranger depuis les  premiers rois de Numidie.

Les ingérences externes d’où qu’elles  viennent sont une orientation  flagrante en faveur d’intérêts étrangers. Elles sont en partie responsables des crises politiques et sécuritaires que nous avons vécues de même qu’elles sont la cause directe du ralentissement du processus de transformation de la société.  Leur rejet  reflète notre attachement à indépendance de notre décision  et représente  l’une des plus notables  leçons tirées de nos  différentes expériences politiques. C’est  d’ailleurs dans cet esprit d’autonomie que le Hirak n’a pas été sensible à toutes les pressions et manipulations internes et  étrangères visant à l’orienter vers l’objectif  de l’effondrement de l’Etat avec ses conséquences incalculables sur la société algérienne. C’est le signe que le peuple ne cherche pas d’autres protections que celles que lui garantit son pays. 

Le diplomate a vocation à faire mieux comprendre à son pays,  la réalité et parfois la complexité du pays d’accueil,  à jeter des passerelles  pour favoriser la compréhension entre les peuples. L’Ambassadeur  Driencourt a choisi la voie de  l’opportunisme, celle de l’exercice des pulsions au détriment de celui de la raison.

A.R.

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