Coupes volontaires de la production de pétrole de certains pays de l’Opep+ : Les enjeux d’une décision
La réaction a été immédiate. Dès l’annonce, dimanche soir, de la décision de l’OPEP+ de baisser sa production dès le mois de mai prochain, les prix du pétrole ont bondi d’un coup. Au total, huit des 23 participants de l’Opep+, qui réunit l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) et ses partenaires, ont décidé de contracter leurs volumes de 1,66 million de barils par jour, avec au premier rang l’Arabie saoudite et l’Algérie. Cette annonce vient s’ajouter à ce qui avait déjà été décidé en octobre, à savoir une baisse du volume de deux millions de bpj. Il s’agissait alors de la plus importante réduction depuis l’émergence du Covid-19. C’est un nouveau revers pour Washington, qui plaide pour une ouverture des robinets d’or noir afin de contenir les prix. Les membres de l’Opep+ ont assuré à l’unisson qu’il s’agissait « d’une mesure de précaution visant à soutenir la stabilité du marché pétrolier ». L’annonce a totalement pris à contrepied le marché, qui s’attendait à un statu quo, les Saoudiens ayant «signalé publiquement et en privé», jusqu’à la réunion, «qu’ils n’avaient pas l’intention d’intervenir pour l’instant». C’est du moins ce que soutenaient hier certains analystes.
La décision de l’Opep+ était pourtant très prévisible. Sous l’effet de la crise bancaire, les cours du brut sont tombés en mars au plus bas en plus d’un an. Cette situation était bien évidemment inacceptable pour les membres de l’Opep. Les coupes décidées dimanche montrent que tout sera fait pour défendre un prix planché supérieur à 80 dollars le baril. Et contrairement à ce qui est dit ici et là en Occident, il ne s’agit pas seulement pour les pays producteurs d’engranger des revenus supplémentaires mais de sauver carrément un secteur pétrolier caractérisé par un important taux de désinvestissement. Les pays producteurs sont en réalité engagés dans une course et n’entendent pas brader leur pétrole. Et puis il y a cette transition énergétique qui risque de réduire, si ce n’est exclure le pétrole du mix énergétique, et les objectifs de décarbonation de l’économie et d’atteinte de zéro-net carbone fixée dans les plus grandes économies à 2050-2060. Une transition à laquelle les producteurs de pétrole devront aussi préparer et surtout financer !
Les pays de l’Opep+ ont aussi adressé un message clair. Ils n’entendent pas se soumettre aux pressions politiques et objectifs politiques des consommateurs occidentaux, Washington en tête, notamment en ce qui concerne l’inflation. D’ailleurs l’argument selon lequel c’est l’Opep+, à travers le maintien des prix de l’énergie à un prix plancher, qui serait responsable de l’inflation galopante ne tient pas du tout la route. Tous les experts sérieux savent que c’est le résultat de l’usage inconsidéré de la planche à billets par les grandes banques centrales, américaine et européennes.
La décision de l’Opep risque-t-elle aussi de plomber la croissance mondiale come l’avancent les Occidentaux ? Peu probable, d’autant plus que le consensus s’installe au sein des économistes, sur le fait que ce sont plutôt les politiques inconsidérées de la Fed et ses contradictions qui affectent l’économie mondiale, et la récente crise bancaire vient encore d’en apporter la preuve.
Basculement vers l’Asie
Au-delà, la décision de l’Opep+ est le signe avant-coureur d’un basculement énergétique, économique et géopolitique. L’inconstance des pays consommateurs de pétrole du G7 et la transition énergétique annoncée, pour les producteurs de pétrole à revoir leur paradigme (prix et marché). C’est ce qui motive un basculement vers l’Asie. D’ailleurs, la plupart des grands producteurs de l’Opep+ misent sur l’Asie pour écouler leurs hydrocarbures. C’est valable autant pour la Russie que pour l’Arabie Saoudite qui alimentent abondement la Chine et l’Inde en pétrole et en gaz.
Il ne faut pas oublier par ailleurs que l’Arabie saoudite demeure le principal fournisseur de pétrole de la Chine, une ligne d’approvisionnement que Pékin veut sécuriser dans un contexte d’incertitudes économiques et géopolitiques. Le Royaume est également la principale destination des investissements chinois (20%) au Moyen-Orient. Xi Jinping ne se contente pas d’échanger avec la famille royale saoudienne, mais tisse sa toile auprès des autres pays du Golfe. La coopération économique sino-arabe dépasse par ailleurs le simple cadre de l’énergie et s’étend à la technologie et même à l’équipement militaire. La récente médiation chinoise dans le rapprochement entre l’Arabie saoudite et l’Iran, est un autre aspect de ce basculement, tout comme le débat de plus en plus prenant sur la dédollarisation des transactions pétrolières, la volonté affichée par l’Arabie saoudite de rejoindre l’Organisation de coopération de Shanghai, et par plusieurs pays pétroliers, parmi lesquels figure l’Algérie aux côtés de l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Bahrein et l’Iran de rejoindre les BRICS et leur banque. Il est une tendance lourde. Le monde change et les marchés sont en pleine reconfiguration et les pays de l’Opep n’entendent pas assister passifs à ces mutations. Une réalité marquera la nouvelle ère : le temps du pétrole bradé est bel est bien terminée !
Khider Larbi