L’Algérie face aux défis croissants de la cybersécurité : L’urgence d’une riposte structurée
L’Algérie confronte aujourd’hui des défis majeurs en matière de cybersécurité, particulièrement dans le secteur judiciaire où la transformation numérique accélérée expose les institutions à de nouvelles vulnérabilités.
Cette problématique a mobilisé le Conseil supérieur de la magistrature et la Cour d’Alger lors d’une journée d’étude consacrée à « La cybersécurité et l’éthique de la profession judiciaire », révélant l’ampleur des enjeux auxquels le pays doit faire face. Tahar Mamouni, Premier président de la Cour suprême et vice-président du CSM, a dressé un constat préoccupant de l’environnement numérique actuel. « Les évolutions rapides que connaît notre monde contemporain en matière de numérisation, d’intelligence artificielle, de technologies modernes de l’information et de la communication et de traitement des systèmes automatisés des données, nécessitent l’établissement d’un système de cybersécurité visant à protéger les différents systèmes et à prévenir les cyberattaques et les atteintes au système d’information de ces données », a-t-il déclaré, soulignant l’urgence d’une réponse structurée.
Cette transformation numérique, bien qu’incontournable, expose l’appareil judiciaire algérien à des risques inédits. Les données sensibles, les procédures judiciaires et les informations confidentielles deviennent des cibles potentielles pour les cybercriminels, nécessitant une approche globale de protection. La digitalisation des services judiciaires, accélérée par les directives présidentielles, multiplie les points d’entrée potentiels pour les cyberattaques, créant des vulnérabilités que les institutions doivent impérativement anticiper. La dimension éthique de cette problématique constitue un défi particulier pour l’Algérie. M. Mamouni a souligné que la cybersécurité « est une responsabilité éthique avant d’être une question technique, ce qui la rend indissociable de la déontologie, car toutes les deux visent à protéger les individus, les institutions et la société ».
L’intégration de nouvelles technologies dans le système judiciaire algérien génère des défis comportementaux inédits. Douniazed Guellati, présidente de la Cour d’Alger, a rappelé que le président de la République considère la numérisation comme « une nécessité nationale pour édifier des institutions modernes, transparentes et efficaces à même de restaurer la confiance du citoyen dans l’administration et la justice ». Cette transformation impose cependant une adaptation profonde des pratiques professionnelles et des référentiels éthiques. La désinformation représente un défi majeur pour l’Algérie dans l’espace numérique. Mme Guellati a appelé à la vigilance « face à la désinformation cybernétique et aux informations trompeuses », identifiant une menace directe à l’intégrité du processus judiciaire. Cette problématique révèle la vulnérabilité du système face aux manipulations informationnelles qui peuvent compromettre l’équité des procédures et l’indépendance de la justice. Les magistrats algériens doivent désormais naviguer dans un environnement numérique complexe où leurs actions en ligne peuvent impacter leur crédibilité professionnelle. Mohamed El Kamel Ben Boudiaf, procureur général près la Cour d’Alger, a pour sa part évoqué « la responsabilité du magistrat dans l’espace numérique », appelant à adopter « une éthique qui renforce la confiance des citoyens dans la justice ». Cette exigence illustre l’extension du champ déontologique aux activités numériques des professionnels de justice. Face à ces défis multiples, l’Algérie esquisse une réponse institutionnelle ambitieuse. Les recommandations émises lors de cette journée d’étude révèlent l’ampleur du chantier : élaboration « d’un code de conduite professionnelle spécifique au cyberespace, comprenant des règles d’interaction numérique en vue de garantir une attitude professionnelle respectant la vie privée, la confidentialité et la neutralité dans les espaces numériques ». Cette initiative témoigne de la volonté de structurer juridiquement la présence numérique des acteurs judiciaires.
Le renforcement du cadre disciplinaire constitue un autre axe prioritaire. Les participants ont recommandé de « renforcer le cadre disciplinaire des pratiques portant atteinte à la cybersécurité à travers la révision des textes réglementaires et déontologiques relatifs aux avocats et aux notaires ». Cette approche préventive vise à dissuader les comportements à risque tout en clarifiant les responsabilités professionnelles.
L’Algérie mise également sur la formation et la sensibilisation pour relever ces défis. La recommandation d’introduction « d’une formation obligatoire sur la déontologie numérique dans tous les établissements d’enseignement et de formation » témoigne d’une vision à long terme visant à préparer les futures générations de professionnels aux enjeux du numérique.
La gouvernance des données personnelles représente un défi stratégique pour l’Algérie. Les participants ont plaidé pour « l’élaboration d’une stratégie nationale globale pour la gouvernance des données personnelles », reconnaissant l’importance d’une approche coordonnée au niveau national. L’établissement de mécanismes de signalement constitue une nécessité opérationnelle. La recommandation de « mise en place de mécanismes officiels de signalement des tentatives de piratage au sein des institutions » révèle la conscience du risque cyber et la volonté de développer une capacité de réaction institutionnelle.
Ces initiatives s’inscrivent dans le cadre plus large des directives présidentielles visant la « moralisation de l’action judiciaire ». M. Mamouni a précisé qu’un « programme de formation a été élaboré par le CSM pour renforcer la relation avec les juridictions, développer les connaissances juridiques et instaurer une dynamique participative ».
Salim Amokrane