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Hassan Kacimi, expert en questions géopolitiques : « L’axe perfide et subversif franco-maroco-sioniste a échoué »

Propos  recueillis par Samira Ghrib

L’Union africaine a décidé de suspendre la décision de Moussa Faki Mahmat d’accorder le statut d’observateur de l’UA à l’entité sioniste. C’est une victoire diplomatique pour les pays africains qui se sont opposés à cette décision, notamment l’Algérie.  Quel en sera l’impact ?

Il est d’abord important de revenir sur le processus qui a mené à la décision du président de la commission de l’UA, celle d’accorder de manière irrégulière le statut d’observateur de l’UA à l’entité sioniste. Moussa Faki Mahmat a agi, en solo, sur un dossier important et lourd et sur lequel il n’y a pas eu de consultations. Les réactions de la part des membres de l’Union africaine ont, bien entendu, été fortes, notamment de la part de l’Algérie, de l’Afrique du Sud et du Nigeria. Le rejet de la décision de Faki Mahamat et la nécessité de retirer la qualité d’observateur de l’UA à l’entité sioniste ont dégagé un consensus très fort en Afrique et un axe très fort avec l’Égypte, avec les pays de l’Afrique de l’Est et les pays de l’Afrique de l’Ouest. La première conclusion que l’on peut tirer de la décision prise, hier, par le sommet de l’Union africaine est que l’axe perfide et subversif franco-maroco-sioniste a échoué et n’a pas réussi à imposer l’adhésion de l’entité sioniste à l’Union africaine. Il n’a réussi ni par la force, ni par la diplomatie des chéquiers. Ne l’oublions pas. Dans ce processus qui visait à imposer l’entrée de l’entité sioniste, il y a beaucoup d’argent qui a coulé. Le pressing franco-marocain sur les pays de l’Afrique de l’Ouest a faibli et n’a pas non plus réussi à imposer l’entité sioniste en tant que membre observateur de l’UA. 

Il faut aussi comprendre que l’entité sioniste ne va pas en rester là et va essayer d’utiliser d’autres moyens pour s’infiltrer en Afrique. L’entité sioniste et ses alliés vont certainement recourir à la contrainte, l’organisation de la subversion, de troubles et de coups d’État, voire de recourir à des opérations de liquidation physique dont les sionistes sont les spécialistes. Ils n’hésitent pas à recourir à l’élimination politique de tous les adversaires qui pourraient gêner leurs intérêts sur le continent. Dans le court et moyen termes, il faudra être vigilant, car les enjeux seront plus importants et les confrontations plus douloureuses. L’Algérie, dans l’axe dans lequel elle évolue, devra être plus vigilante et observer toutes les manœuvres qui risquent d’être déployées à l’avenir, car on a fait sortir l’entité sioniste de l’UA par la porte, mais celle-ci essaiera d’y revenir par la fenêtre. N’oublions pas que le roi du Maroc a pour objectif de placer le Maroc à la tête de la Commission de la paix et de la sécurité de l’Union africaine qui est une instance stratégique. Il y a donc des manœuvres qui sont en gestation. Heureusement, l’Algérie a des positions et une doctrine qui font consensus au sein de l’UA. Elle défend le fait que l’Afrique doit aller vers une réappropriation de sa sécurité. L’Afrique défend le principe de respect de la souveraineté des pays et l’Algérie s’oppose aux interventions étrangères tels que les nombreux mécanismes qui constituent une nouvelle forme de domination et de colonisation, à l’exemple de la force Takuba imposée par la France au Mali suite à l’échec de l’opération Serval, sans consulter les autorités maliennes. Il y a des processus de domination qui sont développés et qui se sont aggravés récemment, notamment avec la décision de l’Union européenne d’imposer des sanctions aux autorités maliennes. Ce qui est tout à fait inacceptable, pour la simple raison qu’il appartient au peuple malien de décider de son avenir et ce dernier est sorti massivement dans la rue pour soutenir les nouvelles autorités du pays, lesquelles ne sont pas dans le giron des intérêts français. C’est ce qui explique le fait que la ministre française de la défense et son collègue des affaires étrangères soient montés au créneau pour attaquer les autorités maliennes, au moment où ils n’ont pas eu la même attitude envers le Tchad qui a connu un processus de changement politique anticonstitutionnel.

Le Tchad a, au contraire, été soutenu par Paris…

Les Français ont soutenu le fils du président tchadien, Idriss Deby, et qui a pris le pouvoir après la mort de son père. Idriss Deby n’est pas mort d’une mort naturelle, mais il a été éliminé. Il y a l’ombre de la France qui plane sur cette élimination, car Idriss Deby commençait à remettre en cause les intérêts coloniaux de la FranceAfrique et commençait à se rapprocher de certaines positions qui ne défendaient pas forcément les intérêts de la France. Son fils a été placé au pouvoir. C’est un président de transition illégitime qui n’a pas été élu et qui n’a pas respecté les dispositions de la Constitution tchadienne. 

Au-delà de la suspension de la décision de Faki Mahamat, une commission a été mise en place afin de formuler des recommandations à l’UA par rapport à cette question. Quel rôle pourrait jouer cette commission ?

Il faut d’abord se pencher sur la composition de cette commission. À part le Sénégal, dont les positions sont d’ailleurs en train d’évoluer, les pays membres de cette commission ne sont pas sous influence. Ils partagent les positions de l’Algérie, dans la mesure où ils sont contre toute forme d’intervention étrangère au sein de l’Union africaine. C’est une commission qui va aller dans le sens de la confirmation des grands principes de la charte de l’UA et des principes défendant le respect de la souveraineté des États africains et que l’Afrique puisse décider des questions relatives à sa sécurité et qu’il n’est pas tolérable qu’il y ait des mécanismes étrangers qui puissent être imposés en Afrique, à l’exemple de la force Serval. La force Serval a été, rappelons-le, imposée au Mali de manière illégale et illégitime.  Serval est présente au Mali depuis presque une dizaine d’années et a échoué. Elle a été imposée dans le nord du Mali, sous le prétexte de la lutte contre le terrorisme. Comme « par hasard », avec la présence militaire française, le terrorisme s’est répandu dans l’ensemble de la région du Sahel. Cela démontre qu’il y a une volonté cachée de répandre le terrorisme en Afrique afin de justifier la présence militaire étrangère et la domination coloniale de tout l’espace du Sahel. Les enjeux sont importants, ils sont économiques et commerciaux et sont au cœur de luttes entre plusieurs acteurs. C’est pour cela qu’il est important de revenir aux fondamentaux de la charte de l’Union africaine et il est important que les pays d’Afrique puissent imposer le respect de leur souveraineté et qu’ils puissent se réapproprier leur sécurité au lieu de la déléguer à des parties tierces dont l’objectif n’est pas de servir les intérêts des pays africains. 

Justement à ce propos, le président sortant de l’UA avait appelé à la réactivation de la Force africaine d’attente. Quel rôle pourrait jouer ce mécanisme ?

La réappropriation de la sécurité de l’Afrique est l’un des objectifs stratégiques les plus importants pour l’Union africaine. L’Algérie a toujours milité pour la réappropriation de la prise en charge des problèmes de sécurité au sein des instances de l’Union africaine. C’est une démarche qui commence à donner des résultats. Il suffit de regarder les évolutions et transformations politiques au sein de plusieurs pays d’Afrique, à l’image du Mali, le Burkina Faso ou la Guinée. Ce sont des évolutions qui reflètent le refus des régimes, généralement, dans le cadre de la FranceAfrique, qui ont été imposés par la France coloniale et qui sont contestés de toutes parts. Des manifestations à grandes échelles se sont déroulées au Mali, au Burkina Faso et en Guinée pour exprimer ce refus. Les Français ne perçoivent pas ce changement et continuent de menacer tout pays africain qui décide de prendre sa destinée en main et mettre fin à cette relation de subordination et de tutelle sur beaucoup de pays en Afrique. 

S.G.

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