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Crise bancaire et turbulences boursières : Vers une nouvelle crise économique mondiale en 2023 ?

Par Abderrahmane Mebtoul

Professeur des universités, expert international

 Les bourses n’étaient toujours pas rassurées le 20 mars 2023, après les turbulences bancaires, suite à la faillite de la Silicon Valley Bank aux États-Unis puis la tempête sur le Crédit Suisse en Europe. Elles ne sont pas rassurées malgré les assurances des gouvernements qui se montrent confiants, et écartent le scénario de la crise financière de 2008. Mais ces signaux d’alerte appellent à une refonte urgente du système monétaire international.

La situation actuelle a eu un impact sur le cours des hydrocarbures, montrant la vulnérabilité des pays mono-exportateurs de matières premières. Le cours Brent de Mer du Nord est tombé hier à 11hGMT à 71,65 dollars le Brent alors que le WTI 65,51 dollars son plus bas niveau depuis décembre 2021.Sur le marché spot du gaz le cours européen a glissé lundi sous la barre des 40 euros le mégawattheure (MWh), un plus bas depuis juillet 2021 après avoir culminé au début de la crise ukrainienne entre 250/300 dollars.

Une question se pose alors. Sommes-nous à l’aube d’une nouvelles crise financière majeure ? De la crise de 1929, à celle de 2008 en passant celle de 2000, l’on retrouve beaucoup de ressemblances mais également beaucoup de différences avec la situation actuelle. Aujourd’hui, la capacité d’emprunt a remplacé la capacité d’épargne, le niveau d’endettement public/privé, étant passé en 2008 de 142.000 milliards de dollars, soit 243% du PIB à plus de 305 000 milliards de dollars en 2022 soit 348 % du PIB.

De la crise d’octobre de 1929 à celle d’octobre 2008

La crise de 1929 a été marquée par le krach consécutif à une bulle spéculative, dont la genèse remonte à 1927. La bulle fut amplifiée par le nouveau système d’achat à crédit d’actions, les investisseurs pouvant acheter des titres avec une couverture de seulement 10 %. Le taux d’emprunt dépend du taux d’intérêt à court terme ; la pérennité de ce système dépend donc de la différence entre le taux d’appréciation des actions et ce taux d’emprunt. C’est le 24 octobre 1929 que la fameuse crise se déclencha aux Etats-Unis ; on appela ce jour le « jeudi noir » ou Black Thursday ? Le krach boursier de Wall Street plongeant l’économie américaine et l’économie mondiale dans la tourmente et ce malgré l’apparente santé de l’économie américaine dont les bases de sa croissance étaient pourtant faibles. A la mi-octobre 1929 l’annonce de la baisse des bénéfices des industries poussa les spéculateurs à vendre leurs actions pendant que le cours de Wall Street était encore élevé. Cette vente entraîne une chute encore plus rapide des actions, plus de 16 millions de titres seront bradés sur le marché, sans trouver toutefois preneurs. Les épargnants paniquent et se précipitent auprès de leurs banques pour retirer leur argent. Bientôt des centaines de milliers d’actionnaires se trouvèrent ruinés ; les banques ne purent se faire rembourser leurs crédits et les épargnants retirent leur argent de leurs comptes. Un grand nombre de banques n’ayant pas les moyens de rembourser, leurs clients firent faillites avec des incidences politiques . L’extrême droite française s’était aussi renforcée, mais le Front Populaire face à cette crise remporta les élections en 1936. En Allemagne la situation ne se stabilisa pas vraiment, et a permis à un homme de parvenir au pouvoir : Adolf Hitler.

Qu’en est-il de la crise d’octobre 2008 ? Les dysfonctionnements ont été concrétisés à travers la crise des prêts hypothécaires (subprimes) en août 2007, crise qui s’est propagée à l’ensemble des bourses mondiales avec des pertes estimées plus de 1500 milliards de dollars en mai 2008 par le FMI . C’est dans ce cadre que rentre le plan Bush de 700 milliards de dollars et également l’initiative européenne de 2300 milliards de dollars pour garantir les prêts interbancaires et les dépôts des épargnants : soit au total USA plus Europe plus de 3000 milliards de dollars. Du fait de l’interdépendance des économies, où aucun pays n’est autonome à 100%, cette crise s’est propagée à l’ensemble de la planète en cinq phases : premièrement, des banques ont concédé des prêts immobiliers à des ménages insolvables ou présentant peu de garanties, à des taux d’intérêts élevés ; deuxièmement, diffusion des mauvaises créances dans le marché : pour évacuer les risques, les banques «titrisent» leurs créances, c’est-à-dire qu’elles découpent leur dette en produits financiers pour la revendre sur le marché. La mondialisation a fait le reste, en diffusant ces titres à risque dans les portefeuilles d’investisseurs de toute la planète. Les fonds spéculatifs (hedge funds) ont été de gros acheteurs de Subprimes, souvent à crédit pour doper leurs rendements (jusqu’à 30% par an), et faire jouer l’effet de levier, les hedge funds empruntant jusqu’à 90% des sommes nécessaires. La troisième phase a été marquée par le retournement du marché immobilier américain : vers fin 2005, les taux d’intérêts américains ont commencé à remonter alors que le marché financier s’essoufflait. Des milliers de ménages ont été incapables d’honorer leurs remboursements entraînant des pertes pour les banques et les investisseurs qui ont achetés les titres obligataires ont vu leur valeur s’effondrer. La quatrième phase a impliqué une crise de confiance : les banques se sont retrouvées dans une situation ou comme dans un jeu de poker, elles savent ce qu’elles ont dans leur bilan, mais pas ce qui se trouve dans celui des autres car ces mauvais crédits immobiliers ont été achetés un peu partout dans le monde et on ne sait quelle est la répartition du risque d’où une grave crise de confiance et dès uillet 2007, cette situation fait chuter les bourses et a paralysé le marché interbancaire, les banques ne se prêtant plus ou très peu craignant que leurs homologues soient dans une ligne rouge. Dans la cinquième phase, les banques centrales sont intervenues : face à la paralysie du marché, les banque centrales sont intervenues massivement début août 2007 en injectant plusieurs centaines de milliards de dollars et d’euros de liquidités. Il s’en est suivi la réunion du G20 tenue le 15 novembre 2008 à Washington (USA) articulée autour de six recommandations : de dégager une réponse commune à la crise financière ; ouvrir les pistes d’une réforme en profondeur du système financier international ; prendre de nouvelles initiatives pour parer à d’éventuelles faillites bancaires et imposer aux banques de nouvelles normes comptables ; des règles plus strictes sur les agences de notation, la titrisation et les parachutes dorés ; accroître les dépenses publiques à travers des déficits budgétaires coordonnées, mais au profit des économies d’énergies pour le BTPH et des technologies propres pour le secteur automobile, remettant d’ailleurs en cause le pacte de stabilité européen (3% du PIB et les dépenses publiques sur /PIB moins de 60% ; et enfin le renforcement du système de régulation mais ne signifiant pas protectionnisme, les dépenses publiques étant destinées en majorité aux entreprises privées (politique keynésienne ciblée).

Les enjeux en 2023

La Silicon Valley Bank est une banque américaine spécialisée dans le financement de start-ups du secteur des nouvelles technologies. Elle était, au début du mois de mars, la 16e plus grosse banque des États-Unis, en termes d’actifs gérés. Au cours de l’année 2021, profitant d’un fort engouement à la suite de la pandémie de Covid-19, de nombreuses start-ups ont réalisé d’importantes levées de fonds. Les dépôts gérés par la Silicon Valley Bank ont alors explosé, passant de 102 à 189 milliards de dollars. Ces liquidités ont, notamment, été investies par la banque en bons du Trésor américain, un placement a priori peu risqué. La hausse des taux d’intérêt, conséquence du resserrement de la politique monétaire de la Réserve fédérale (FED) mené depuis début 2022, a eu un double effet. D’une part, les conditions de financement des entreprises se sont dégradées. Cela a notamment contraint les start-up à utiliser les liquidités dont elles disposaient en banque. D’autre part, la valeur des obligations a sensiblement chuté en 2022 ce qui s’explique par la corrélation négative entre la valeur des obligations en circulation et les taux d’intérêt. La Silicon Valley Bank a dû liquider une partie de son portefeuille d’obligations pour faire face aux retraits des start-ups. En raison de la baisse de la valeur des obligations, la banque, qui n’était pas protégée contre le risque de remontée des taux, a enregistré une perte de près de 1,8 milliard de dollars et a, dans la foulée, annoncé vouloir procéder à une augmentation de capital de 2,25 milliards de dollars. Cette double annonce a déclenché une panique bancaire, où de nombreux clients, ayant perdu confiance dans la banque, ont retiré leurs fonds, obligeant les autorités américaines à la fermeture de la Silicon Valley Bank le 10 mars 2023 pour limiter l’hémorragie et afin d’éviter tout risque systémique. Outre les difficultés d’autres banques américaines, une crise se profile en Europe. Suite aux difficultés du Crédit suisse la banque centrale helvétique a annoncé en urgence le 15 mars un prêt de 50 milliards de francs suisses pour sauver l’établissement. Signe de tensions financières, les banques américaines ont emprunté depuis la mi- mars 2023 164,8 milliards de dollars auprès de la banque centrale américaine (Fed) et le marché des emprunts d’Etat a connu la plus forte hausse depuis 2008, avec une forte baisse des rendements. Plus globalement, l’indice des banques européennes a chuté de 2,85% vendredi, creusant ses pertes à 11,47% sur la semaine, la plus forte depuis six mois. Les pertes hebdomadaires ont été encore plus notables pour Société Générale (-16,94%), Commerzbank (-19,53%), ING (-14,76%), Standard Chartered (-14,30%) et Unicredit (-14,31%). Le 16 mars 2023, Wall Street, le Dow Jones s’est contracté de 1,19%, l’indice Nasdaq a perdu 0,74% et l’indice élargi S&P 500 a reculé de 1,10% . Les établissements bancaires européens sont également confrontés à la hausse des taux d’intérêt. Ils pourraient donc être amenés à essuyer des pertes s’ils sont contraints de vendre de manière prématurée les obligations qu’ils possèdent et/ou s’ils ne se sont pas suffisamment protégés face au risque de remontée des taux. D’où selon de nombreux observateurs qui anticipent que les principales banques centrales mondiales, comme la FED et la Banque centrale européenne (BCE), pourraient stopper leur politique de remontée des taux d’intérêt dans le cadre de la lutte contre l’inflation, de manière à soutenir les économies. Face à cette situation, de peur d’une panique généralisée , les responsables notamment américains et européen se sont montré rassurants où la majorité des banques auraient des actifs diversifiés, ce qui limite le risque de faire face à la même séquence que la Silicon Valley Bank, mais la situation pose tout même le problème d’une nouvelle régulation financière et monétaire mondiale. Attention à l’euphorie, où nous avons assisté également aux discours rassurants à la veille de la crise de 2008 sans oublier l’éclatement de la bulle Internet en 2000,où sous la pression de la remontée des taux d’intérêt à long terme (voir la bulle a finit par « éclater » à partir de mars 2000), la récession ayant touché des pays européens , en 2000-2001 et les USA en 2002-2003.

Les BRICS et la refonte du système monétaire mondial

Qu’en est-il des propositions des BRICS pour refonder le système monétaire mondial au sein d’un monde multipolaire ? L’objectif stratégique est de repenser l’actuel système économique mondial qui favorise la bipolarisation Nord/Sud, la pauvreté préjudiciable à l’avenir de l’humanité, accéléré d’ailleurs par les gouvernances les plus discutables de la part de la plupart des dirigeants du Sud. Sur les 8 milliards d’âmes que compte notre planète, les 2/3 sont concentrées dans la zone Sud avec moins de 30% des richesses mondiales. Cette crise est donc liée à la financiarisation de l’économie accrue en déconnexion avec la sphère réelle et la non symbiose de la dynamique économique et de la dynamique sociale oubliant que le travail est certes un coût mais créateur de valeur et vecteur de croissance à travers la consommatio. Avec cette financiarisation croissante, nous avons deux types de détention d’actions. La détention directe (ceux qui les détiennent en propres) et la détention indirecte (ceux qui les détiennent par le biais d’un intermédiaire : organismes de gestion, sociétés d’assurances-vie, caisses de retraite, SICAV). Le fait nouveau réside dans la modification rapide et importante du type d’actions détenues par les ménages. La détention directe d’actions devient minoritaire, pendant que la détention indirecte s’est fort développée, au point où ce sont aujourd’hui les fonds de pension qui contrôlent Wall Street et gèrent une fraction croissante de la capitalisation boursière des USA. Aussi, c’est sous l’impulsion des BRICS que le G20 a transformé le forum de stabilité financière en conseil de stabilité financière, les BRICS ayant soutenu le rapport sur les G-SIFI pour réduire les risques moraux des institutions financières systématiquement et globalement importants, les fonds de couverture, le shadow banking, les produits dérivés financiers des marchés offshore et les agences de notation ayant été ramenés pour la première fois sous la supervision. Mais c’est pour échapper à la dépendance de l’hégémonie du dollar que les BRICS ont décidé de créer une nouvelle banque de développement à travers la contribution des banques centrales membres des BRICS, une partie des réserves de devises étrangères pourrait être concentrée, de même, par l’émission d’emprunts sur le marché financier international, on pourrait concentrer des fonds pour servir à la construction des infrastructures dans les BRICS. Les avantages de la Nouvelle Banque de développement tournerait autour de trois axes directeurs. Premièrement, il s’agit de mieux utiliser leurs devises étrangères afin de réduire le risque d’inflation et de rétrécissement de leur réserve de devises étrangères, et de mieux servir leurs économies réelles. Deuxièmement, les bénéfices que la banque de développement pourraient tirer de l’investissement dans les économies réelles et dépasseraient largement ceux que les banques centrales pourraient tirer de l’achat de bons du Trésor des pays développés, et l’investissement dans les infrastructures pourrait stimuler la demande intérieure de ces pays, entraînant la croissance économique. Troisièmement, la Nouvelle Banque de développement ferait la promotion de l’usage des monnaies nationales des pays membres, ce qui pourrait promouvoir le commerce intérieur et l’investissement réciproque de ces pays, réduisant ainsi la dépendance au dollar, bien qu’en baisse mais dominant dans les transactions internationales suivi de l’euro. En somme, la création de la Nouvelle Banque de développement traduit la volonté des BRICS d’une rénovation de leur gouvernance interne. D’une manière générale, l’action des BRICS a permis de soulever des problèmes jusque-là ignorés par les pays développés dans un esprit dépassé de domination, ignorant le déséquilibre de l’économie mondiale et qu’il ne peut y avoir de développement global sans le développent et de prospérité de la majorité des pays en voie de développement. Il s’agit aujourd’hui de proposer de créer un partenariat global fondé sur le dialogue productif par une compréhension mutuelle et une coordination des efforts entre le Nord et le Sud afin de résoudre les nombreux défis de notre monde.

En conclusion, les deux plus grandes économies mondiales, à savoir les USA avec un PIB en 2022 de 24.796 milliards de dollars pour une population relativement faible de 340 millions, suivis de la Chine , qui un PIB de 18.460 milliards de dollars pour une population de 1,41 milliard d’habitants, ont un impact sur le reste du monde et peuvent agir. Aujourd’hui, les difficultés de certaines banques internationales ont certes des impacts négatifs sur toute la chaîne des valeurs internationales, mais celles-ci peuvent être circonscrites en 2023, sous réserve d’une nouvelle régulation mondiale du système financier, et si l’on s’attaque à l’essence de la crise et non aux symptômes. Les actions des autorités américaines qui ont annoncé qu’elles allaient permettre aux clients de la SVB et de la Signature Bank de retirer l’intégralité de leurs dépôts et la banque centrale américaine (Fed) s’étant engagée à prêter les fonds nécessaires pour que les autres banques qui en auraient besoin puissent honorer les demandes de retraits de leurs clients, la décision du 17 mars de l’OCDE qui prévoit un retour à la normale, de relever le taux de croissance de la zone euro et l’optimisme de la BCE concernant les taux d’intérêts , permettront- t-elles de redonner confiance et donc de juguler la crise ? Pas si sûr. Cependant , il faut avoir une vision globale de l’avenir de l’économie mondiale qui concerne certes la refonte du système financier international. Il s’agit de relever plusieurs défis liés au réchauffement climatique, l’inflation qui a des répercussions sur le pouvoir d’achat, accentuant les tensions sociales, la crise énergétique, la crise de l’eau et donc la crise alimentaire. Les tensions géostratégiques qui touchent tous les continents, notamment les tensions Ukraine/Russie, USA/ Chine, l’adhésion de nombreux pays aux BRICS lors de la prochaine réunion en Afrique du Sud, et le rétablissement des relations diplomatiques entre l’Arabie Saoudite et l’Iran préfigurent d’importantes mutations dans les relations internationales, militaires, sécuritaires, politiques, culturelles et économiques.

A. M.

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