Le documentaire « Algérie, sections armes spéciales » diffusé par la RTS: Des arguments historiques pour contrer le déni colonial
Dans le contexte actuel où certains responsables politiques français tentent de minimiser ou de justifier les crimes coloniaux, ce documentaire met en lumière non seulement les horreurs perpétrées au nom de la « mission civilisatrice », mais aussi le déni institutionnel qui a permis de les dissimuler pendant des décennies.
Face aux tensions diplomatiques croissantes entre l’Algérie et la France, alimentées par les nostalgiques de l’Algérie française et le déni colonial sur fond de révisionnisme historique en France, un documentaire choc vient lever le voile sur l’un des chapitres les plus sombres de la colonisation française en Algérie: l’usage des armes chimiques par l’armée colonial. Un acte qui tombe sous le coup du Protocole de Genève. « La France a utilisé des armes chimiques, interdites par le Protocole de Genève de 1925, dans sa guerre contre l’Algérie de 1954 à 1959 », révèle le film « Algérie, sections armes spéciales » qui sera diffusé sur la Radio Télévision suisse dimanche, puis sur France 5 le 16 mars. Ces révélations surviennent dans un contexte particulièrement tendu où le négationnisme colonial refait surface en France, notamment illustré par les récentes déclarations de Marine Le Pen glorifiant la colonisation, et par l’affaire de l’éditorialiste Jean-Michel Aphatie, journaliste poussé à la démission par RTL après ses propos dénonçant les crimes coloniaux français. Ce documentaire réalisé par Claire Billet s’appuie sur les recherches méticuleuses de l’historien Christophe Lafaye, qui a surmonté de nombreux obstacles administratifs pour accéder à des documents classifiés prouvant l’implication directe du gouvernement français dans l’utilisation d’armes chimiques prohibées. Un courrier datant de mars 1956 du commandant supérieur interarmées de la 10e région militaire au secrétaire d’État aux Forces armées, Maurice Bourgès-Maunoury, intitulé « Utilisation de moyens chimiques » atteste de cette décision politique au plus haut niveau. « Le colonel des armes spéciales m’a rendu visite. Il m’a annoncé qu’il avait obtenu votre accord de principe relatif à l’utilisation des moyens chimiques en Algérie », précise ce document accablant. Quelques mois plus tard, en septembre 1956, une réunion à l’état-major des Armées produisait « une étude de politique générale d’emploi des armes chimiques en Algérie », avec pour objectif explicite d’infecter les grottes servant de refuges aux combattants algériens, les tuer ou les capturer, et rendre ces abris naturels définitivement inutilisables. L’armée française créa alors une batterie armes spéciales (BAS) en décembre 1956, déployant ensuite une centaine de sections sur tout le territoire algérien sous les ordres du général Salan, avant une réorganisation en 1959 dans le cadre du plan Challe. Les agents chimiques utilisés provenaient des stocks datant de la Première Guerre mondiale, notamment du CN2D, un mélange particulièrement toxique combinant un dérivé arsénié (Adamsite ou DM) et de la chloroacétophénone (CN). Le documentaire donne la parole aux survivants algériens de ces atrocités, notamment ceux de la grotte de Ghar Ouchettouh dans les Aurès, où près de 150 villageois furent gazés le 22 mars 1959.
10 000 opérations de gazage conduites
Selon l’historien Christophe Lafaye, entre 8 000 et 10 000 opérations de Gazage auraient été conduites pendant toute la guerre, dont 440 ont été précisément documentées et cartographiées par ses soins, mais « l’inventaire complet reste à faire ». Ces révélations s’inscrivent dans un travail de mémoire crucial alors que la France peine encore à reconnaître pleinement les crimes commis pendant la période coloniale. Il aura fallu attendre 1993 pour que la France vote l’interdiction définitive des armes chimiques et de leur fabrication, près de 70 ans après avoir été la première nation à signer le Protocole de Genève qu’elle a ensuite effrontément violé en Algérie. Dans le contexte actuel où certains responsables politiques français tentent de minimiser ou de justifier les crimes coloniaux, ce documentaire met en lumière non seulement les horreurs perpétrées au nom de la « mission civilisatrice », mais aussi le déni institutionnel qui a permis de les dissimuler pendant des décennies. La diffusion de ce film, produit par Luc Martin-Gousset pour SOLENT Production, représente une étape importante dans le processus de vérité historique, indispensable à toute réconciliation mémorielle entre l’Algérie et la France.
Salim Amokrane