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Crise libyenne : À quoi joue l’Égypte ?

Les dirigeants d’Égypte, des Émirats arabes unis, d’Irak, de Bahreïn et de Jordanie ont tenu hier dans la ville égyptienne d’Al-Alamein un sommet axé, selon les médias égyptiens, sur la «sécurité énergétique et alimentaire» dans la foulée du conflit en Ukraine. Outre le président Abdel Fattah al-Sissi, cette rencontre a réuni le président émirati Mohammed ben Zayed al-Nahyane, le Premier ministre irakien Moustafa al-Kazimi, le roi Abdallah II de Jordanie et le roi de Bahreïn, Hamad ben Issa al-Khalifa. Selon un communiqué de la présidence égyptienne, les cinq dirigeants ont échangé les vues sur les moyens de renforcer les relations bilatérales et la coopération » entre leurs pays.

Les cinq dirigeants arabes évoqueront, a précisé encore le quotidien Al-Ahram, le dossier de la sécurité de l’eau et celui du barrage de la Renaissance. L’Ethiopie a, rappelle-t-on, annoncé le 12 août avoir achevé la 3e phase du remplissage de ce mégabarrage sur le Nil en dépit des protestations du Soudan et de l’Egypte, inquiets en aval pour leur approvisionnement en eau. Selon la même source, il a été question également de la crise au Yémen dans laquelle sont impliqués militairement l’Égypte et les Émirats arabes unis. Jusque là, rien anormal. 

En revanche, ce qui l’est moins c’est que ces pays ont inscrit également à l’ordre du jour de leurs discussions la question libyenne. Il aurait été impensable, par exemple, que l’Algérie organise un mini sommet régional sur le dossier de la crise libyenne et qu’elle n’invite pas l’Egypte, le Soudan ou la Tunisie qui partagent de longues frontières avec l’ex-Jamahiriya. Au contraire, les autorités algériennes ont toujours veillé à ce que les pays voisins de la Libye soient impliqués dans la recherche d’une issue politique et pacifique à la crise car, au bout du compte, ce sont les premiers à être impactés par le reversement par les Occidentaux du régime de Mouammar El Gueddafi.

La décision du président égyptien Abdelfattah al-Sissi de tenir à l’écart des pays comme l’Algérie et la Tunisie d’un sujet aussi important que la Libye est extrêmement suspecte. Ce qui l’est encore plus c’est que le Caire a décidé d’impliquer dans le dossier des acteurs extra régionaux comme les Emirats arabes unis, l’Irak, Bahreïn et la Jordanie. En quoi ces pays seraient-ils plus concernés par la crise libyenne que l’Algérie ou la Tunisie ? Il n’y a évidemment pas de réponse convaincante à la question. Cela à moins que l’Egypte ait décidé de mobiliser certaines monarchies du Golfe afin d’imposer un agenda particulier. Un agenda qui contredit frontalement celui défendu par les Nations-Unies. Il n’est un secret pour personne en effet que Abdelfattah al-Sissi ne désespère toujours pas de parvenir à placer par la force au pouvoir en Libye le seigneur de guerre Khalifa Haftar, un ancien renégat aujourd’hui à la tête d’une milice en Cyrénaïque. Bien évidemment ce qui motive le plus l’Egypte ce n’est pas forcément le retour à la paix chez son voisin. Le principal moteur du Caire est ailleurs. Il concerne beaucoup plus les ressources énergétiques libyennes, des ressources dont manque cruellement l’Egypte. Dans la mise en œuvre de leur plan, les Egyptiens peuvent compter sur les Emirats arabes unies qui partagent la même approche. Abu Dhabi est d’ailleurs l’un des principaux fournisseurs en armes de Khalifa Haftar que la majorité des Libyens considèrent comme un criminel de guerre. Il est d’ailleurs poursuivi actuellement aux Etats-Unis.

C’est l’aide fournie par ces pays aux seigneurs de guerres libyens qui retarde le règlement de la crise. Pire que cela, ces ingérences ont pour effet d’aggraver la situation et d’alimenter le conflit. Il ne se passe pas un jour sans qu’il n’y ait des affrontements entre milices rivales. L’ONU s’est d’ailleurs dite hier « profondément préoccupée » par une montée des tensions entre rivaux politiques libyens, qui fait craindre une nouvelle guerre civile dans ce pays, appelant à la « désescalade immédiate ». La Mission d’appui des Nations unies en Libye (Manul) suit, selon un communiqué, « avec une profonde inquiétude les mobilisations militaires et la menace de recourir à la force » dans le but de résoudre une crise de légitimité entre factions rivales. 

La crise s’est aggravée en février dernier lorsque le Parlement siégeant dans l’est a désigné Fathi Bachagha, ancien ministre de l’Intérieur, comme nouveau Premier ministre, alors que le chef de l’exécutif installé à Tripoli (ouest), Abdelhamid Dbeibah, refuse de lui céder le pouvoir. « Le recours à la force par une partie est inacceptable et ne pourra pas aboutir à (…) la reconnaissance de la communauté internationale », a averti la mission onusienne, appelant les différents rivaux à la « désescalade immédiate ». L’impasse politique et la crise qui secouent la Libye « ne peuvent être résolus par la confrontation armée », a-t-elle martelé. Malheureusement, il y a peu de chance que l’appel de l’ONU soit entendu.

Khider Larbi

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