Contribution

L’Afrique et la stratégie gazière mondiale

Par Abderrahmane Mebtoul

Professeur des universités, expert international, ancien directeur des études au ministère de l’Énergie et de la Sonatrach et Président de la commission transition énergétique des 5+5+ Allemagne en 2019.

 La demande mondiale de gaz devrait augmenter de façon constante dans les 20 prochaines années, dans un contexte de réserves abondantes et d’une utilisation accrue du gaz pour produire de l’énergie. Une hausse de la demande mondiale de gaz d’au moins 2% par an, pendant plusieurs décennies, est attendue ce qui devrait porter cette demande à 4500 milliards de mètres cubes de gaz par an d’ici à 2030.

1.-Quelle est la situation gazière mondiale ?

Le Centre international d’information sur le gaz naturel, Cedigaz, évalue les réserves prouvées mondiales de gaz naturel à 205 507 milliards de mètres cubes au 31 décembre 2022 avec par ordre pour les réserves commerciales de gaz : Russie 32 740 milliards de mètres cubes gazeux, l’Iran 32 100 milliards de mètres cubes gazeux, le Qatar 24 700 milliards de mètres cubes gazeux, le Turkménistan 13 600 milliards de mètres cubes gazeux, les USA 12 300 milliards de mètres cubes gazeux, la Chine 8400 milliards de mètres cubes gazeux, le Venezuela 6300 milliards de mètres cubes gazeux, l’Arabie Saoudite 6000 milliards de mètres cubes gazeux, les Emirats 5900 milliards de mètres cubes gazeux, le Nigeria 5500 milliards de mètres cubes gazeux, l’Irak 3500, l’Algérie 2500 milliards de mètres cubes gazeux et le Canada 2400 milliards de mètres cubes gazeux. Au 31 décembre 2022, le ratio mondial des réserves sur la production commercialisée représente environ 50 années, au rythme de la production de l’année 2022. La demande mondiale de gaz devrait augmenter de façon constante dans les 20 prochaines années, dans un contexte de réserves abondantes et d’une utilisation accrue du gaz pour produire de l’énergie, une hausse de la demande mondiale de gaz d’au moins 2% par an, pendant plusieurs décennies, est attendue ce qui devrait porter cette demande à 4500 milliards de mètres cubes de gaz par an d’ici à 2030 contre 3861 milliards de mètres cubes en 2020 et 4036 milliards de mètres cubes en 2021 et 4050 milliards de mètres cubes entre 2022 et 2023. Pour la production au niveau mondial en 2022, nous avons par ordre décroissant : USA 21 027 milliards de mètres cubes gazeux, la Russie 699 milliards de mètres cubes, l’Iran 244 milliards de mètres cubes, la Chine 219 milliards de mètres cubes, le Canada 205 milliards de mètres cubes, le Qatar 170 milliards de mètres cubes, l’Australie 162 milliards de mètres cubes, la Norvège 128 milliards de mètres cubes, l’Arabie Saoudite 105 milliards de mètres cubes et l’Algérie 102 milliards de mètres cubes. Pour le GNL, nous avons la structure suivante au 1er janvier 2023 : USA 40,2% ; Russie 13,2% ; Qatar 13,1% ; Algérie 6,7% ; Norvège 6,6%. Concernant l’Afrique, (source APS), l’Algérie a exporté, en 2023, 13 millions de tonnes de GNL contre 10,2 en 2022, occupant la première place en tant qu’exportateur de GNL en Afrique pour la première fois depuis 2010, dépassant ainsi le Nigeria. Créé en 2001, le Forum des pays exportateurs de gaz, le FPEG, est constitué de 11 pays membres :, 7 pays non membres ont le statut d’observateur. L’Algérie, pays stratégique dans le domaine gazier s’apprête à accueillir, à Alger du 29 février au 02 mars 2024, le 7e Sommet des Chefs d’Etat et de Gouvernement du Forum des pays Exportateurs de Gaz, représentant 70% des réserves mondiales de gaz prouvées, plus de 40 % de la production commercialisée, 47% des exportations par gazoducs et plus de la moitié de la commercialisation du GNL. Le Forum examinera la place du gaz dans le cadre de de la transition énergétique afin de lutter contre le réchauffement climatique . Le gaz énergie plus propre que le pétrole et le charbon, qui les extrapolations de l’AIE le MIX énergétique gaz naturel,  devant compter aussi les énergies renouvelables, hydrogène vert et bleu, représentera en fonction du nouveau modèle de consommation énergétique, entre 60/70% de la consommation mondiale entre 2040/2050.

Qu’en est -il de l’Afrique en termes de potentialités de gaz ?

Traditionnellement, ce sont au Nigéria, en Algérie, en Égypte et en Libye que se trouvent les réserves et les sites de production de gaz les plus prouvés. Néanmoins, les données du GOGET montrent que 84% des nouvelles réserves en préproduction se situent chez de nouveaux entrants sur le marché du gaz africain . Environ 85% des nouvelles réserves de gaz naturel en phase de préproduction en Afrique se trouvent dans des pays qui jusqu’ici n’exploitent pas les combustibles fossiles, selon un rapport publié en février dernier par l’ONG Global Energy Monitor. Nous avons le Mozambique abritant 44,9% de ces réserves prouvées, le Sénégal (15,1%), la Mauritanie (11,2%) et la Tanzanie (10%), l’Afrique du Sud (1,9%) , l’Éthiopie (0,8%) et devant inclure la Guinée équatoriale. Les réserves cumulées de ces pays étant évaluées à plus de 5200 milliards de mètres cubes gazeux . Toujours selon Global Energy Monitor, si les 79 projets en phase de préproduction répertoriés en Afrique sont réalisés, la production gazière du continent augmentera d’environ 33% d’ici 2030, bien que d’ici 2024-2025, l’Algérie et le Nigéria devraient être à l’origine de la majorité des volumes de gaz exportés d’Afrique . La carte gazière de l’Afrique devrait se modifier progressivement avec les nouveaux entrants sur le marché du gaz naturel les anciens producteurs cités qui avaient accaparé 92% de la production du continent entre 1970 et 2022, les futurs hubs gaziers africains représenteront plus de 50% de la production gazière du continent entre 2030/2035. Mais la mise en exploitation concernant les infrastructures d’exportation, y compris dans les pays producteurs traditionnels, nécessiterait des investissements sur site vierge estimés à 329 milliards de dollars. Les dépenses d’investissement dans les terminaux de GNL programmés sont estimées à environ 103 milliards de dollars, dont 92 % financeraient les terminaux d’exportation de GNL et les cinq principaux pays africains qui développeront des terminaux d’exportation sont la Tanzanie, le Mozambique, le Nigéria, la Mauritanie et le Sénégal.

Quelles perspectives pour l’Afrique ?

En raison de la guerre russo-ukrainienne qui a eu un impact sur l’approvisionnement de l’Europe en hydrocarbures à partir de la Russie, et des tensions géostratégiques notamment dans le Sahel , l’Afrique du fait de ses richesses suscitent la convoitise des puissances étrangères favorisant des interventions militaires dans les zones identifiées riches en ressources minières (métaux rares et stratégiques) et énergétiques (pétrole, gaz, uranium, hydrogène, ce qui explique l’instabilité régionale. Bien que le continent dispose de près d’un dixième des réserves mondiales prouvées gaz relativement propre par rapport aux autres sources d‘énergie comme le charbon, le pétrole, le bois et qui peut être un levier pour le développement , la majeure partie de ses populations n’a pas accès au gaz naturel, une grande partie des ressources en gaz naturel étant destinées à l’exportation. Par ailleurs, le continent est confronté aux effets dévastateurs du réchauffement climatique , qui compte un cinquième de la population mondiale et est responsable de moins de 5 % des émissions mondiales de dioxyde de carbone (CO2).D’où l’importance pour l’Afrique d’axer sa stratégie énergétique sur la production d’énergies renouvelables, du captage et du stockage du carbone, des gaz renouvelables et de l’hydrogène. En bref, les nouvelles mutations géostratégiques, économiques, sociales et culturelles devraient modifier fondamentalement les rapports de force au niveau mondial nous orientant vers un monde multipolaire, plein d’incertitudes. L’Afrique qui habitera entre 2040/2050 plus d’un quart de la population mondiale avec des richesses colossales sera un enjeu majeur et l’Afrique sera ce que les Africains voudront qu’elle soit n’oubliant pas que les fondamentaux du développement du XXI-me siècle, reposant essentiellement sur la transition numérique et énergétique, sont la bonne gouvernance et la valorisation du savoir .

 ademmebtoul@gmail.com

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