Elle refuse l’extradition d’Abdesselam Bouchouareb : Comment la France démontre sa mauvaise foi
Le cas Bouchouareb démontre le deux poids deux mesures flagrant dans l’attitude française et sa mauvaise fois. Alors qu’il cherche à imposer l’expulsion vers l’Algérie de profils dangereux radicalisés en France, Paris refuse d’extrader les criminels réclamés par la Justice algérienne.
La justice française a opposé un refus définitif hier aux demandes d’extradition vers l’Algérie de l’ancien ministre de l’Industrie sous l’ère Bouteflika, Abdesselam Bouchouareb, illustrant une nouvelle fois les incohérences de Paris dans ses relations avec Alger. Depuis octobre 2023, l’Algérie avait déposé six demandes d’extradition visant cet ancien responsable de 72 ans, ministre de l’Industrie et des Mines de 2014 à 2017 sous la présidence d’Abdelaziz Bouteflika. Condamné à cinq peines d’emprisonnement de vingt ans chacune en Algérie, Bouchouareb est également visé dans un sixième dossier de criminalité économique et financière et de corruption. Pourtant, la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Aix-en-Provence a définitivement mis fin à cette procédure en invoquant un argument pour le moins discutable : les « conséquences d’une gravité exceptionnelle » que pourrait avoir une extradition en raison de l’état de santé et de l’âge de l’intéressé.
La France protège les criminels en col blanc
Cette décision soulève de nombreuses questions quant à l’engagement réel de la France dans la lutte contre la corruption et la criminalité financière internationale. Me Anne-Sophie Partaix, conseil de l’Algérie dans cette affaire, avait pourtant rappelé que les autorités algériennes avaient, le 13 février, « donné les garanties nécessaires » à la justice française. « M. Bouchouareb a volé de l’argent aux Algériens, il a été condamné et doit répondre de ses actes », avait-elle insisté. Ces garanties concernaient notamment une bonne prise en charge de son état de santé, confirmant ainsi que les autorités algériennes avaient rempli toutes les conditions requises pour une extradition conforme aux standards internationaux.
L’ancien ministre est accusé d’avoir créé une société offshore en 2015, dénommée Royal Arrival Corp, pendant qu’il occupait ses fonctions ministérielles. Selon les enquêtes, Bouchouareb aurait transféré illégalement 700.000 euros d’Algérie vers une banque au Luxembourg, avant de les rediriger vers un autre établissement à Genève en Suisse. Les charges retenues contre lui sont particulièrement graves : « blanchiment d’argent et des revenus provenant d’activités criminelles de corruption au sein d’un groupe criminel, transfert de biens et de fonds provenant de produits du crime dans le but de dissimuler leur source illicite, acquisition et possession des biens et de l’argent provenant d’activités criminelles. » Il est également inculpé pour avoir « accepté des avantages indus » et réception de « pots-de-vin et avantages à l’occasion de l’exécution d’accords et de contrats au nom de l’État », ainsi que « gaspillage de fonds publics ».
Panama Papers
La réputation de Bouchouareb était déjà entachée bien avant ces affaires. Son nom figurait dans les Panama Papers, révélant qu’il était propriétaire d’une société offshore domiciliée au Panama, créée en avril 2015 pour exercer dans l’intermédiation commerciale avec plusieurs pays, dont l’Algérie. Une situation particulièrement problématique puisqu’il était alors en première ligne dans les dossiers liés à l’investissement étranger et aux importations. En 2015, l’essai « Paris Alger, une histoire passionnelle » de Christophe Dubois et Marie-Christine Tabet avait également révélé que Bouchouareb détenait des biens immobiliers à Paris, dont un luxueux appartement avec vue sur la Seine. L’homme est aussi connu pour sa proximité avec les milieux d’affaires français. Il a pris des mesures très contestées qui ont profité à des entreprises françaises, notamment Renault et Peugeot. C’est lui qui a défendu ces constructeurs automobiles français en septembre 2015, quand leurs filiales étaient accusées de surfacturation et d’évasion fiscale par un rapport officiel du ministère du Commerce. Sous sa responsabilité, l’Algérie a également acheté 17 trains modernes de type Coradia en 2015, qui ont quasiment disparu des gares algériennes dix ans plus tard. Pire encore, le projet de délocalisation de fabrication du Coradia en Algérie, associé au contrat, ne s’est jamais concrétisé. Cette décision de non-extradition risque d’aggraver la crise diplomatique entre les deux pays. Au moment où Paris, par la voix de son ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, adopte un langage d’escalade dans le cadre de la question liée aux mesures d’éloignement de ressortissants algériens du territoire français, elle refuse paradoxalement d’extrader une personne condamnée par la justice algérienne dans plusieurs affaires de corruption avérées.
89 commissions rogatoires sans suite
La France démontre ainsi sa mauvaise foi dans la coopération avec l’Algérie. Comme l’a rappelé Abdelaziz Rahabi, le taux de réponse de l’Algérie aux demandes d’expulsion est respectable, ayant accueilli 3 000 expulsés sur un total de 6 000 personnes concernées par une décision d’éloignement en 2024. L’Algérie a également toujours respecté les accords signés avec la France, y compris les accords d’Évian, qui comportent des dispositions relatives à la sécurité et à la défense, tandis que la France s’est désengagée de nombreux accords. Plus révélateur encore, la France refuse de coopérer avec la partie algérienne pour la restitution des fonds détournés. « Alors que des pays comme l’Espagne, la Suisse et l’Allemagne ont répondu aux demandes, la France n’a pas donné suite à 89 commissions rogatoires émises par la justice algérienne, » a souligné Rahabi. Cette attitude démontre une politique de deux poids, deux mesures qui ne peut que nuire aux relations bilatérales déjà tendues entre les deux pays. Hocine Fadheli