Soudan : La CPI avertit contre des crimes contre l’humanité !
Le bureau du procureur de la Cour pénale internationale (CPI) a averti lundi que les atrocités commises dans la ville soudanaise d’El-Fasher pourraient constituer des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité.
Dans un communiqué diffusé depuis La Haye, la CPI a exprimé sa « profonde inquiétude » face aux informations en provenance du Darfour-Nord, où des massacres, des viols et d’autres crimes auraient été commis lors de la chute de la ville, après dix-huit mois de siège. « Ces atrocités s’inscrivent dans un contexte de violence plus large qui ravage toute la région du Darfour depuis avril 2023. De tels actes, s’ils sont avérés, pourraient constituer des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité au sens du Statut de Rome », a déclaré le bureau du procureur. Le 26 octobre, les Forces de soutien rapide (FSR) ont pris El-Fasher, dernier verrou stratégique échappant à leur contrôle au Darfour, après des semaines d’affrontements acharnés avec l’armée régulière soudanaise. Depuis, des témoignages évoquent des exécutions sommaires, des pillages, des viols et des attaques contre des humanitaires dans et autour de la ville. Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), quelque 71 000 personnes ont été déplacées d’El-Fasher et des villages environnants entre le 26 octobre et le 2 novembre, en raison des combats et de l’insécurité persistante sur les routes. L’organisation estime qu’entre le 1er et le 2 novembre seulement, près de 8 600 personnes ont fui la ville, tandis que la situation humanitaire demeure « tendue et instable ». El-Fasher, la plus grande ville du Darfour, constituait le dernier bastion de l’armée dans l’ouest du pays. Sa chute confère désormais aux FSR un contrôle de fait sur plus d’un quart du territoire soudanais. Les Nations unies estiment que le conflit a fait des milliers de morts, provoqué des millions de déplacés et entraîné la pire crise humanitaire actuelle. Des centaines de civils et de combattants désarmés auraient été tués lors de la chute de la ville. Des témoins cités par le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme rapportent que des membres des FSR auraient séparé les hommes des femmes et des enfants avant d’ouvrir le feu. La présidente du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), Mirjana Spoljaric, a jugé la situation « horrible », estimant que « l’histoire se répète au Darfour, et c’est pire à chaque fois qu’un endroit est pris par l’autre camp ». Selon elle, des dizaines de milliers de personnes ont fui El-Fasher, tandis que d’autres restent piégées dans la ville, sans accès à l’eau, à la nourriture ni aux soins médicaux. Le CICR s’est dit « extrêmement préoccupé » par les témoignages faisant état d’un massacre à l’hôpital saoudien d’El-Fasher, dernier établissement de santé fonctionnel dans la ville, bien qu’il n’ait pas encore pu vérifier ces informations. Dans la localité voisine de Taouila, des habitants fuyant la ville « s’écroulaient parfois, voire mouraient d’épuisement ou de leurs blessures », a rapporté l’organisation. Alors que les combats s’intensifient, la catastrophe humanitaire s’aggrave. Selon une analyse publiée lundi par le Système intégré de classification de la sécurité alimentaire (IPC), soutenu par l’ONU, la famine a été confirmée à El-Fasher et dans la localité assiégée de Kadugli, dans le Sud-Kordofan. Ces deux zones ont été classées en « Famine » (Phase 5 de l’IPC), avec des « preuves solides », et la situation devrait se poursuivre au moins jusqu’en janvier prochain. Le rapport met également en garde contre un risque de famine accru dans vingt autres zones du Grand Darfour et du Grand Kordofan, où les combats et l’insécurité entravent l’accès humanitaire. En septembre, environ 21,2 millions de Soudanais, soit 45 % de la population, étaient confrontés à un niveau élevé d’insécurité alimentaire aiguë.
La situation à El-Fasher illustre l’effondrement total des conditions de vie dans les zones de conflit. Selon les habitants, les combats ont détruit les camps de déplacés, les cliniques et les mosquées, les contraignant à se réfugier dans des abris souterrains pour échapper aux bombardements et aux drones. Le CICR parle d’une crise qui dépasse « ce que l’on peut considérer comme acceptable ». Le conflit, qui oppose l’armée soudanaise aux FSR depuis plus de deux ans et demi, échappe jusqu’à présent à toute médiation internationale.
Lyes Saïdi

