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Nouvelles pressions américaines pour augmenter la production de pétrole : L’Opep fait bloc et ne cède pas

L’Organisation des pays exportateurs de pétrole et ses alliés signataires de la Déclaration de la coopération ont repris la main sur le marché pétrolier et mène une action destinée à le stabiliser. Un rôle que l’administration américaine est loin d’apprécier et multiplie les pressions pour infléchir la politique de l’Opep, et notamment son chef de file l’Arabie Saoudite. Toutefois, l’Opep ne cède pas et est déterminée à s’en tenir à sa politique.

Washington cherche, par tous les ressorts possibles et imaginables, à pousser l’Opep vers une hausse de la production de pétrole. Après avoir échoué à courtiser son chef de file, puis à déstabiliser le marché et essayant vainement de « l’inonder » avec le pétrole des réserves stratégiques de l’AIE, voilà que les Américains décident d’exhumer un texte qui revient depuis 30 ans, le Nopec (No Oil Producing and Exporting Cartels Act) afin, dit-on, « d’empêcher les pays de l’Opep+ de réduire leur production de pétrole ». Un texte qui est destiné à annuler l’immunité souveraine des États de l’Opep+ pour leur appliquer les dispositions anti-trust américaines ! en plus d’être quasiment inapplicable et de constituer une grave dérive, la démarche américaine est loin d’impressionner les pays de l’Opep qui rappellent d’ailleurs que leur politique actuel à stabiliser le marché et sécuriser les investissements nécessaires pour garantir l’offre future, en plus d’avertir contre les mesures unilatérales destinées à porter atteinte aux fondamentaux des marchés.

C’est dans ce contexte que le ministre de l’Énergie et des Mines, Mohamed Arkab, a tenu à rappeler le rôle positif de l’Opep+ sur le marché et a défendu les décisions prises qui ont permis de garantir la stabilité du marché. Selon un communiqué du ministère de l’Énergie et des Mines, Mohamed Arkab a rappelé que « les pays de la Déclaration de Coopération ont fait preuve de sagesse et d’une exceptionnelle clairvoyance en décidant unanimement et de manière transparente de réduire en octobre dernier leur production globale de 2 Mbj jusqu’à la fin 2023 afin d’assurer la stabilité et l’équilibre du marché pétrolier international au profit de l’économie mondiale ». Et d’ajouter que « les efforts déployés par les pays de la Déclaration de Coopération depuis plus de 6 années pourraient être injustement anéantis par l’adoption de mesures unilatérales et de législations visant à dévoyer les mécanismes du marché, ce qui conduirait à un sous-investissement dans l’industrie pétrolière, des perturbations majeures dans les flux d’approvisionnement et créerait les conditions d’une instabilité durable du marché pétrolier ».

Mardi, c’était le ministre saoudien de l’Énergie, le prince Abdelaziz ben Salmane, qui souligné dans une interview publiée par Energy Intelligence que l’Opep+ avait réussi à apporter une stabilité et une transparence considérables au marché pétrolier, notamment par rapport à tous les autres marchés de matières premières. Il a expliqué que « le projet de loi Nopec ne reconnaît pas l’importance de disposer d’une capacité de réserve et les conséquences de l’absence de capacité de réserve sur la stabilité du marché». «Nopec compromettrait également les investissements dans les capacités pétrolières et ferait en sorte que l’offre mondiale soit largement inférieure à la demande future. Les conséquences se feront sentir dans le monde entier, tant pour les producteurs que pour les consommateurs, ainsi que pour l’industrie pétrolière», a-t-il souligné. Il a également fermement déclaré que l’Arabie saoudite vendrait pas de pétrole à un pays qui imposerait un prix plafond à ses approvisionnements et expliqué que le plafonnement des prix du pétrole conduirait inévitablement à l’instabilité du marché, ajoutant que le Royaume réduirait sa production de pétrole.

Glissement géopolitique

Il est donc clair que l’Opep et ses alliés aucunement l’intention d’infléchir leur politique de production et maintenir la trajectoire actuelle qui a permis de stabiliser les fondamentaux du marché et relancer les investissements dans l’amont pétrolier. Un rôle de swing producteur que l’Opep retrouve et qui lui permet de reprendre la main sur le marché, mais qui semble irriter l’administration américaine qui accuse indûment l’Opep « d’aider » la Russie. Cependant, la dernière démarche américaine semble être motivée par d’autres considérations, d’autant plus qu’elle ressort d’un contexte de glissement géopolitique majeur au Moyen Orient avec un rapprochement de l’Arabie saoudite de la Chine et des Brics. Le rétablissement des relations diplomatiques entre l’Arabie saoudite et l’Iran après une médiation de Pékin semble irriter au plus haut point Washington. Un glissement qui s’inscrit dans un cadre logique marqué par une transition économique et énergétique. Interrogé à ce propos, Mourad Preure, expert en stratégie de l’énergie, a estimé qu’il « est clair qu’aujourd’hui le pacte de Quincy est bel et bien mort ». « Comme je l’ai toujours dit, l’Arabie saoudite avait toujours opté pour une vente bédouine de son pétrole. En fait elle préférait un Long term gain, à un short term gain. En termes plus clairs, l’Arabie saoudite a toujours opté pour des prix raisonnables du baril pour s’assurer une demande solide de brut à long terme. Cependant, dès le moment où on fait l’apologie d’une transition énergétique à marche forcée et qu’on présente une BMW électrique avec une autonomie extraordinaire, qu’on veut imposer la fin des moteurs à combustion, il est clair que mise sur la demande à long terme est un choix qui n’est plus viable. Aussi, Ryad a compris qu’il fallait se tourner vers l’Asie, moins équipée et qui représente encore un marché potentiel important. La situation a changé, et il est donc légitime d’adapter sa stratégie en conséquence. Les États établissent toujours leurs calculs sur la base de considérations pragmatiques. Et cela est tout à fait normal », explique-t-il. Il estime cependant que la dernière tentative américaine d’impressionner l’Opep risque de ne pas aboutir, expliquant que le Nopec est difficile à appliquer.

« Le projet de loi NOPEC est une tentative des Américains de défoncer une dernière ligne rouge. Une telle disposition est toutefois difficile à mettre en œuvre. Il faut comprendre que les Etats-Unis sont les plus avancés en ce qui concerne l’application de leur législation en dehors de leurs frontières. Or, il est plus facile d’imposer des sanctions à un opérateur et ou une entreprise, comme ce fut le cas pour la forcer à respecter l’embargo que Washington a imposé à des pays comme l’Iran, que de tenter de soumettre tout un cartel de pays souverains à ce genre de disposition », indique-t-il. « C’est difficile dans l’absolu, comme cela suppose l’adhésion à cette démarche de tous ses alliés et d’autres pays. Or, dans un contexte de crise énergétique, ce sera loin d’être évident, y compris pour les alliés européens de Washington. Il faut savoir que l’Europe a dépassé le point de rupture sur le plan économique. Les gouvernements européens, y compris en Allemagne, font face à une contestation sociale grandissante et ont une marge de manœuvre réduites. L’ensemble des pays européens font face à de sérieux problèmes économiques et cela a induit des fissures dans l’édifice européen », ajoute-il.

La fin de la « globalisation anglosaxonne »

Il souligne aussi que le recours au Nopec démontre que « les Américains sont aux abois. Leur économie va très mal et le petit frémissement constaté à la fin de 2022 ne va pas donner lieu à un réel rebond économique. Le comportement de la Réserve fédérale américaine avec sa politique de hausse des taux le démontre, toute comme la récente faillite de la SVB témoigne de cette situation dans un pays qui a endettement record de 30 .000 milliards USD, un déficit économique et commercial abyssal et qui use du privilège du dollar en tant que monnaie de réserve internationale afin de recourir au Quantitative easing pour traiter ses problématiques ». D’ailleurs, l’expert souligne que « « les Américains savent que le système dollar s’effrite peu à peu et qu’en face émerge une alternative qui s’articule autour du Renminbi chinois. Les pays occidentaux acceptent même des transactions qui ne sont pas en dollars ».

« En fait, ils font face à une convergence de facteurs qui marque la fin de la globalisation anglo-saxonne » estime M. Preure. Celui explique enfin que la guerre en Ukraine marque la fin d’un système où la globalisation anglosaxonne cohabitait avec une pluri-polarité, alors qu’aujourd’hui, apparaît une nouvelle globalisation et face au bloc occidental qui décline apparaît un bloc qui « est de plus en plus cohérent et qui est de plus en plus dynamique. »

Samira Ghrib

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